A l’écoute de ce 12e album du duo formé par Karen et Don Peris, émerge encore le sentiment familier de faire partie de leur décor musical imaginaire.
C’est une maison lovée dans la nature de Pennsylvanie. L’hiver ne s’arrête plus et la buée colle aux fenêtres. La porte est ouverte, des odeurs consolatrices s’en dégagent. On entre, on s’installe dans le rocking-chair, au coin des bûches fumantes.
C’est précisément dans ce décor apaisant que l’on aimerait s’abreuver du 12e album de The Innocence Mission, précieuse décoction infusée et enregistrée à Lancaster, sans pression aucune des sirènes du monde extérieur, dans la maison de Karen et Don Peris, couple dans la vie et dans la musique, et leurs enfants. On devra hélas, sauf chance qui n’est pas celle de l’auteur de cet article, se contenter de son environnement quotidien, de ses grandes tours et de ses rues grises de février.
Ce qui nous marque d’emblée, c’est la voix de Karen Peris, qui parvient à défier les couleurs ternes de l’hiver. Une voix que l’on pourrait facilement qualifier d’immaculée ou enfantine, mais à la sérénité paradoxalement très réconfortante. La voix particulière d’une enfant qui aurait, malgré son jeune âge, sillonné de nombreux chemins, vécu quantité d’épreuves, et qui est là pour nous peindre doucement ses souvenirs de passage et les personnes rencontrées lors de ces années. Une voix qui colle presque trop parfaitement au nom du groupe.
Repérée par Joni Mitchell dans la seconde moitié des années 1980, adoubée par Simon Raymonde des Cocteau Twins, fondateur du label Bella Union, cela fait maintenant une trentaine d’années que cette voix et ses accompagnements propices au rêve égrènent leurs mélodies. C’est depuis l’album Birds of my Neighborhood (1999) et son morceau magique « Lakes of Canada » que les contours du son de The Innocence Mission se précisent. Le groupe n’a jamais caché son affection pour la dream pop. Mais avec l’utilisation très mesurée de la batterie et l’extension du silence, ses ballades se font de plus en plus folk et se suffisent alors à elle-même. Cet épurement renforce le toucher précieux des morceaux, semblable à de la porcelaine qu’on n’oserait même pas effleurer par peur de la fêler.
En ce début d’année 2020, See You Tomorrow continue dans cette veine, en nous livrant un déploiement de guirlandes folk de papier, d’une délicatesse difficilement atteignable. Avec la certitude que rien au monde ne doit venir briser cet équilibre. Sufjan Stevens, admirateur du groupe, ne s’y est pas trompé. Voilà pour l’argument d’autorité. Mais « Movie » et « Stars that Fall Away from Us » sont des comptines dont la beauté n’a besoin de la certification de personne. La première ne se dote que d’un piano et de l’écho d’une voix pour nous conquérir, quand l’accordéon de la seconde convoque une énergie « fanfaronesque » que l’on verrait bien fredonnée par un Zach Condon de Beirut. A travers l’incarnation fréquente de personnages, les chansons de l’album ont pour pierre angulaire la difficulté de communication entre ces derniers.
Tout en sérénité, See You Tomorrow nous fait des promesses rassurantes. L’album est un compagnon de route, portant la présence familière d’un être aimé nous disant « à demain » sur le pas d’une porte.
Bella Union / Thérèse Records (2020)
https://theinnocencemission.com/
https://www.facebook.com/The-Innocence-Mission-111422858887453/
Tracklisting :
1. The Brothers Williams Said
2. On Your Side
3. Movie
4. We Don’t Know How to Say Why
5. St. Francis and the Future
6. At Lake Maureen
7. John As Well
8. This Boat
9. Mary Margaret in Mid-Air
10. Stars That Fall Away from Us
11. I Would Be There