Le funambule Robin Proper-Sheppard nous accueille dans un sublime songe pop-rock nébuleux et pourtant si réconfortant.

Blasé, déçu, perdu ou consterné, l’écoute active de nombreux albums éveille des réactions très variées mais souvent redondantes.

Écoute après écoute, nouveauté après nouveauté, on en vient à douter ou pire à s’interroger sur notre véritable respect de ces artistes qui, de la cave à leurs greniers personnels et intimes ont pourtant tout cherché, tout retranscris, tout exprimé, sans arriver à déclencher petit bout après petit bout de silex, la moindre étincelle, la moindre émotion ou inspiration.

Et il y a la nuit, un refuge pour le corps, l’esprit et les oreilles. Dénuée de signaux qui pourraient nous polluer ou dérouter nos sens, elle laisse une chance supplémentaire à ces expressions et productions musicales, fruit de beaucoup de travail, de courage, de résignation et souvent de frustrations.

Dans l’obscurité et le calme de la ville, une petite lueur est plus visible, elle nous fait un signe. Et, plus tolérant, plus sensible, on arrive à se frayer un chemin vers un talent,  vers un moment de création que l’on aurait zappé avec panache et dédain, mais que l’on aura tout de même oublié le lendemain.

Avec l’album Holding On/ Letting On de Sophia, autant vous prévenir que le cheminement est différent. Ce n’est pas vous qui vous rendez vers un lieu sacré, c’est la cathédrale qui vient à vous et elle n’est pas éclairée qu’à la bougie.

Ce neuvième album signé par l’Américain Robin Proper-Sheppard (qui a initié sa carrière avec les mythiques The God Machine) démarre avec un « Strange Attractor » qui porte bien son nom.

Son instrumental de plus deux minutes avant que la parole ne soit prise, vient exploser et raisonner dans nos oreilles et s’impose à nous comme une initiation à son univers authentique et intense, une invitation à une épopée sonore très bien construite et pleine de maturité.

Alors que nous nous étions préparé à vivre un moment rock puissant et giflant, c’est une autre atmosphère et un cheminement plus délicat et méticuleux que nous offre notre hôte. Car dès le second titre « Undone.Again » c’est une écriture très urbaine made in Berlin (où il vit désormais) et subtilement mélancolique qui va nous prendre la main.

Son refrain « To all the women I have loved – You’re the ones I’m thinking of – When everything comes undone again (A toutes les femmes que j’ai aimées, c’est à vous que je pense quand tout se défait à nouveau) » est empli de fatalisme et de traces indélébiles d’espoir amoureux.

Appuyé par une guitare scintillante à la Girls in Hawai qui ne va plus nous quitter durant tout l’album, on se laisse à la fois bercer, chavirer, puis réconforter par une voix qui jamais ne prend l’ascendant comme pour ne jamais brusquer.

Une voix chargée d’une belle intensité émotionnelle tel un instrument, qui souligne respectueusement et amoureusement les autres en présence. Elle ne porte pas le discours, elle le souligne en lui apportant une coloration attachante.

On retrouve ce très bel équilibre dans la composition et la production sur le titre « Alive ». Ce saxo qui flotte (signé Terry Edwards : Nick Cave, Tom Waits, PJ Harvey) dont on avait oublié tout simplement la sonorité depuis des années, forme un duo réussit avec ce timbre de voix au romantisme assumé qui fait glisser les mots comme un Robert Smith (The Cure) qui veut séduire sans se dévoiler, des lueurs colorées furtives dans un habit noir et froid. Un peu comme les faisceaux de lumières fragiles qui transpercent les vitraux de cette cathédrale, ceux qui semblent être représentés sur la couverture de l’album (artwork by John Hobbs).

Naturellement et avec envie, on poursuit notre visite du lieu  avec « Avalon » et un « Days » euphorisants avant de retrouver « Road song » plus énergisant qui nous invite à reconsidérer nos liens sentimentaux « And why are you always your worst enemy? Aren’t there better things for you to be fighting? – Et pourquoi sommes-nous toujours nos pires ennemis ? N’y a-t-il pas de meilleures choses à faire pour nous que de combattre ?« 

Puis Sophia décide de nous faire emprunter une autre chemin, ou plutôt nous fait prendre la bretelle d’autoroute avec « We see you » comme pour sortir de ce mood consolateur bien installé, et nous rappeler qu’une guitare peut aussi être électrique, comme pour nous transmettre en héritage une énergie punk que cet artiste semble détenir ou contenir en lui depuis des années.

Une force incarnée cachée sous des couches de sensibilités, de doutes, d’hésitations, de chemins incertains entre San Diego, Londres, Bruxelles ou Berlin. Le tout forme pourtant quelque chose de bien solide et d’assumé : sa route de vie, traversée par des ombres loin d’être silencieuses qu’il aime faire résonner dans sa pop sans compromission.

C’est certainement le titre « Prog Rock Arp », qui clôture l’album qui va nous laisser le plus de trace de cette visite, car il la rend mystique, transcendante. Notre nuit se rallonge, s’intensifie et le romantisme vagabond laisse place à une longue déferlante nostalgique.

Un final ténébreux sans une voix. Il crée le vide qui ne nous laisse qu’une envie, revenir, revivre ce lieu décidément bien construit et bâtit par Robin Proper-sheppard le bien inspiré, le bien éclairé.

SOPHIA – HOLDING ON / LETTING ON chez The Flower Shop Recordings

https://sophia.bandcamp.com/album/holding-on-letting-go

Track-List :

1. Strange Attractor
2. Undone. Again.
3. Wait
4. Alive
5. Gathering The Pieces
6. Avalone
7. Days
8. Roas Song
9. We See You (Takinh Aim)
10. Prog Rock Arop (I Know)