Troisième album en solitaire pour la vibrante voix de Big Thief, confinée en mode For Emma, Forever Ago… 


Ce fut notre dernier concert avant le confinement. Big Thief se produisait fin février sur la scène du Cabaret Sauvage à Paris, moment de grâce, devant une foule conquise, pendus aux mots et à la voix douce et bouleversante d’Adrianne Lenker. Cette soirée paraît si loin aujourd’hui, et en même temps si proche, car le souvenir de ce dernier moment de communion musicale ne risque pas d’être effacé de notre mémoire. Et d’agir depuis en nous comme une petite flamme qui perdure au milieu de ce géant noir inconnu. 

Et puis le temps s’est brutalement suspendu ces neuf derniers mois. Le quatuor new yorkais, en pleine ascension après les retentissants succès publics et critiques de U.F.O.F. et Two Hands, leurs albums jumeaux parus en 2019, s’est vu contraint, comme tant d’autres, d’annuler sine die sa prochaine tournée.  Les projets de son groupe au point mort, Adrianne Lenker décide en avril dernier de se confiner dans un chalet situé dans les montagnes du Massachusetts, afin de travailler sur quelques compositions acoustiques qu’elle avait en tête. Avec l’aide de l’ingénieur Philip Weinrobe (Leonard Cohen, Marc Ribot), la “songwriteuse” se lance dans un processus d’enregistrement à dessein analogique, bannissant tout clavier branché et autre raccourci pomme. En résulte ce double album d’obédience folk, scindé en deux parties distinctes, sobrement intitulé Songs / instrumentals. Soit, vous l’aurez compris, l’une constituée de chansons, l’autre d’instrumentaux.

Aussi plaisante soit-elle, la partie instrumentale, serait à envisager comme complémentaire mais pas indispensable aux chansons. Issus des même sessions d’enregistrement, les deux longues pistes contemplatives (deux titres totalisant 34 minutes), sont à envisager comme des errances acoustiques minimalistes, Lenker se laissant improviser sur sa six-cordes autour d’une vague trame mélodique, le frottement des cordes, quelques harmoniques tirées du manche, et autres bruits environnants (gazouillis au loin). Cette approche folk teintée de mysticisme et nature n’est finalement pas si loin de l’esprit  de Two Hands avec Big Thief, mais revisité  dans un contexte ambient.

Les onze chansons de Songs conservent cette lignée épurée et contemplative, mais l’écriture demeure, plus maîtrisée que jamais. Le talent de mélodiste de Lenker se suffit à lui-même, son phrasé envoûtant, cette voix vulnérable sont un pur délice. Des chansons sans accompagnement rythmique, mais des boucles d’arpèges tourbillonnants qui s’entrelacent harmonieusement (Two Reverse) les uns aux autres, et nous couvent d’une manière bienvenue en cette saison. Sur “Anything”, le refrain d’apparence innocent (“I don’t wanna talk about anything I wanna kiss, kiss your eyes again“), cache une histoire sentimentale plus complexe et des conflits familiaux. Sur “Half Return”, ses mots ont le pouvoir de véhiculer des atmosphères à travers des images simples (“Standing in the yard, drеssed like a kid The house is white and the lawn is dead”). 

C’est tout le charme de ce disque, dont le côté “nature” peut parfois prêter à sourire  (« Zombie Girl », manifestement enregistré près d’un nid d’oisillons) mais nous procure indéniablement un peu de couleur et de légèreté dans ce monde. Petite anecdote, la composition florale, peinture à l’eau qui orne la pochette du disque est l’oeuvre de la grand-mère d’Adrianne, Diane Lee, prenant ainsi le contrepied de celle de son précédent opus en noir et blanc, Abysskiss

4AD – 2020

https://adriannelenker.bandcamp.com/album/songs

Tracklisting : CD1: 1. two reverse (03:33) 2. ingydar (04:08) 3. anything (03:22) 4. forwards beckon rebound (03:09) 5. heavy focus (02:34) 6. half return (02:08) 7. come (05:17) 8. zombie girl (02:44) 9. not a lot, just forever (04:10) 10. dragon eyes (03:26) 11. my angel (05:04) CD2: 01. music for indigo (21:13) 02. mostly chimes (16:12)