Le trio indie rock montréalais Plants and Animals nous livre un disque de survie, à consommer sans modération.
Jungle, cinquième album de Plants & Animals, présente huit titres construits comme des témoignages, des manifestes d’une époque qui a concentré des changements et des mouvements violents. Marqués par ces événements, par l’ inquiétude de leurs enfants, le trio a décidé d’entamer un nouveau cycle créatif, plutôt que de recenser ou ressasser leurs angoisses et peurs. Et de nous offrir cet opus savoureux gorgé d’espoir.
Formé en 2004, le trio montréalais Plants and Animals rassemble Warren Spicer (chant et guitare), Nicolas Basque (guitare, basse, chant) et Matthew Woodley (chant, batterie et percussions). Leurs précédents albums tels La La Land (2010), Parc Avenue (2008) ou The End of That (2016) ont laissé en nous une trace indélébile, touchés par la subtilité de leurs harmonies vocales et leur assemblages musicaux mélangeant en toute liberté la folk, la country avec des éléments de rock progressifs ou americana plus classiques.
Ce cinquième album, tout en étant fidèle à leur style et à leur écriture, est à la fois sous tension et animé par une énergie libératoire, une vitalité nouvelle qui nous fait un bien fou. Bien que compartimenté en huit séquences qui bénéficient chacune d’arrangements originaux et subtils, l’album Jungle s’avère très cohérent.
L’intensité de chaque titre est le véritable fil rouge, même quand les tempo se font plus lents, plus folk, les paroles ou les parties de synthétiseur soutiennent le discours, l’expression de cette tension sous contrôle, cette révolte face à l’adversité du temps présent que l’on combat par les mots et les sons.
Car comme l’évoque le groupe, même si on peut trouver drôle le fait d’appeler un disque de Plants and Animals « The Jungle », le symbolisme qu’il y a derrière cette jungle est très judicieusement choisi pour cette période. Lieu très opaque, difficile à cerner et mystérieux, on a pourtant malgré tout l’envie et le besoin pour survivre, de s’y aventurer.
Dès le premier titre qui porte le nom de l’album, Plants and Animals propose un cocktail créatif alliant des rythmiques et basses classiques à un écho electro. Le décor ainsi planté est à fois accueillant et angoissant. On s’y installe avec curiosité avant de prêter l’oreille à des « yeah yeah yeah » funky et hypnotiques qui sonnent comme un appel universel aux survivants de notre planète.
Le second titre « Love that boy », avec sa délicate progression, poursuit cette opération de séduction. Les Plants and Animals continuent à nous charmer et à nous inviter à nous ouvrir sur ce monde qui nous entoure et qui malgré ce contexte de pandémie et d’isolement existe encore : « And there’s a world out thеre -Someday I want you to show me – Thеre’s a world out there »
Il fallait bien cette prévenance pour pouvoir amener le titre « House On Fire ». Tout en retenu jusqu’alors, c’est un mélange disco-punk-rock qui nous est servi. Le groupe considère ce titre comme un hymne énergique inspiré par un ami de Warren qui prenait trop de somnifères jusqu’à pouvoir oublier d’éteindre son four et mettre ainsi le feu à sa maison.
Cette maison qui est en feu est par analogie notre Monde, lui aussi sous médicament et qui chaque jour peut s’embraser. Malgré le fatalisme de ses paroles, ce titre avec ses sonorités amples et profondes sait dissiper l’obscurité et nous offrir des lueurs d’espoirs et de la couleur.
Suit le très efficace « Get my Mind » et sa guitare vibrante. Ayant récemment perdu son père, Nicolas Basque s’est inspiré de sa propre expérience récente et la vision qui s’impose à lui : les choses dont on hérite ne sont pas toujours celles que l’on veut.
Jungle a beau ne durer que 35 minutes, l’ensemble procure en nous un effet d’écoute en boucle, longtemps et régulièrement. Les Plants and Animals démontrent ainsi leur maturité et surtout leur inventivité alliant subtilité et douce complexité.
Le tout est mélangé à une dose d’espoir et d’envie de « revivre autrement » qui confère à cet album une capacité à relater la dure réalité vécue sans jamais nous laisser un goût amer en bouche.
« Sacrifice » en est la parfaite illustration. Alors que son titre et son thème sont sombres (la solitudes des années qui passent, de ce que les gens sont prêts à faire pour se sentir acceptés), le groupe casse cette gravité en lâchant un refrain sur un rythme exultant et très contrasté digne du classique pop « Love Is All » de Ronnie James Dio.
Un vrai pied de nez à cette morosité, à cette incapacité à percevoir la beauté que peut nous offrir l’avenir. Une belle invitation à nous ressaisir et à laisser se dissiper les nuages avec notamment les dernières paroles du titre qui sont « Gave you the best years of my life – Volunteered on your behalf – Sacrifice it doesn’t matter – For dopamine and lots of laughs – Je t’ai donné les meilleures années de ma vie – Volontairement en votre nom – Le sacrifice n’a pas d’importance – Pour de la dopamine et beaucoup de rire. »
On retiendra également l’ambiance à la fois onirique et mystérieuse de « Le Queens » un jam bancal et psyché très attachant porté par ce refrain délicat en français chanté par Adèle Trottier-Rivard.
L’album se termine avec deux titres à l’atmosphère « pop moderne » réconfortante : “In Your Eyes”, avec ce parent qui essaie à la fois de lâcher prise et de garder un œil distant et aimant sur son adolescent qui tente de gérer son anxiété face au changement climatique et un “Bold” apaisant avec ses paroles que l’on voudrait prophétiques (« Okay, what’s next? – The stage is set – Waiting for you – To be more bold »)
Comme un fruit exotique qui a grandi avec peu de soleil mais qui libère une vraie saveur et de la joie de vivre, cet album est à prescrire à tous ceux qui veulent se tourner vers l’avenir. Vous savez, ce lieu que l’on a pu oublier, ce lieu que nous devons à nouveau rêver pour mieux le transformer.
Plants and Animals «The Jungle » chez SECRET CITY RECORDS.
Tracklisting :
01. The Jungle
02. Love That Boy
03. House On Fire
04. Sacrifice
05. Get My Mind
06. Le Queens
07. In Your Eyes
08. Bold