« Outsider », ou la rencontre improbable entre l’artiste Henry Darger et les pop songs oniriques de Lee Hazlewood orchestrées par Morricone. Sublime.

Tout le monde aime les outsiders. Déjà dans le 7e art ou en littérature et le 7e art, voilà un personnage très affectionné grâce aux infinies possibilités offertes par son ressort dramatique. Celui qui n’est pas le favori, seul contre tous, et qui de fait va devoir redoubler d’effort jusqu’à triompher. On adore ça ! Bref, l’Outsider est celui qu’on n’attendait pas. Et c’est précisément ce frisson de l’inattendu qui nous prend à l’écoute de ce merveilleux album de Philippe Cohen Solal & Mike Lindsay.

Toutefois, la comparaison s’arrête là. Car l’Outsider dont il est question ici se rapporte plutôt au courant artistique “outsider art”, et précisément à l’artiste américain Henry Darger (1892-1973), issu de ce courant qui serait le pendant anglo-saxon du fameux art brut inventé par Jean Dubuffet. A l’origine, le compositeur Philippe Cohen Solal – pas un inconnu, le cofondateur de Gotan Project – s’éprend de cet artiste au cours d’une visite au Folk Art Museum de New York, en 2003. 

L’œuvre protéiforme de Darger a été découverte tardivement après sa mort. Elle repose principalement sur un roman épique de 15 000 pages (!) ainsi que plus de 300 peintures, collages et dessins de grand format censées l’illustrer. Fasciné par ce pavé hors norme, Philippe Cohen Solal s’est ainsi mis en tête de mettre en musique ce récit hommage à la rébellion d’enfants face à la violence adulte. Pour la petite histoire, Indochine s’est aussi entiché du monstre en lui dédiant une chanson, avec un résultat moins heureux…

Après un EP publié en 2015 à l’occasion d’une exposition au Musée d’Art Moderne de Paris consacré à l’artiste maudit, voici donc aujourd’hui Outsider, adaptation long format constitué de 10 compositions. Pour mettre en forme cette ambitieuse pièce, Solal a notamment fait appel au génial Britannique Mike Lindsay, frontman de Tunng, présent ici aux guitares et textures électro. Tandis que les arrangements somptueux de cordes et de cuivres ont été confiés à la multi-instrumentiste Hannah Peel (The Magnetic North). Quant au chant principal, ce dernier est confié à un inconnu (du moins à notre niveau) Adam Glover, jeune talent à voix de stentor, dont les aspérités grave et élégante se mesurent à l’intensité du grand crooner de Sheffield, Richard Hawley. Autant dire qu’il va falloir suivre de près ce jeune homme…

Insistons sur le fait que nous sommes assez loin de l’univers tango moderniste de Gotan Project. Outsider verse plutôt dans la luxuriance pop sixties, tendance orchestrale et réverbérée, avec ces effluves de western spaghetti à la sauce morriconienne, et surtout, avec une préférence pour les torch songs célestes du fameux crooner moustachu  Lee Hazlewood. D’ailleurs, “Can a Boy Forget His Mother”, saupoudré des choeurs ingénus d’Annah Peel, se donne des airs gracieux du quasi intouchable “Sand” de Nancy & Lee… Nous n’allons pas faire la fine bouche face à cette offrande miraculeuse.

« Who Will Follow Angelinia? », qui ouvre l’album par une explosion, puis trois accords de guitare folk rehaussé de violons, se donnent en apparence des airs de Lucky Man de The Verve, pour finalement suivre sa propre harmonie psyché baroque, aux arrangements assez renversant. Cette entrée en matière fait son effet. Outsider est pourtant loin d’avoir tout dit, toutes les compositions sonnent comme des standards pétris d’intemporalit, de l’entêtant “Bring Them In” à l’aristocratique « We’ll Never Say Goodbye ».

Même si Outsider se veut par définition un album concept, les chansons ont chacune une identité suffisamment forte pour ne pas en dépendre. De jolis clips animés nous permettent d’ailleurs de plonger dans cette pop fantasmagorique aux fonds insoupçonnés. On vous prévient, ce voyage touche au sublime.

2021 – Ya ! Basta!

https://smarturl.it/outsiderdarger

Tracklisting :

1 – Who Will Follow Angelinia? (feat. Hannah Peel & Adam Glover)

2 – Hark Hark, My Friend, Cannon Thunders Are Swelling (feat. Adam Glover & Hannah Peel)

3 – Onward in the Fight (feat. Adam Glover & Hannah Peel)

4 – Bring Them In (feat. Adam Glover & Hannah Peel)

5 – Can a Boy Forget His Mother (feat. Adam Glover & Hannah Peel)

6 – 851 Webster Avenue (feat. Adam Glover & Hannah Peel)

7 – We Sigh for the Child Slaves (feat. Adam Glover & Hannah Peel)

8 – Blessed Assurance (feat. Adam Glover)

9 – We’ll Never Say Goodby (feat. Adam Glover & Hannah Peel)

10 – Scattering the Fierce Foeman (feat. Adam Glover & Hannah Peel)