La figure scandinave de la musique ambient, Geir Jenssen s’est plongé dans le Quatuor à cordes n°14 de Beethoven pour une réinterprétation minimaliste et fascinante.
Le nouvel album de Geir Jenssen, aka Biosphere, Angel’s Flight, semble suivre son opus l’Incoronatizone di Poppea (2012) dans le travail de métamorphose électronique sur des compositions classiques. Cette fois-ci, à la place du fameux opéra de Monteverdi, le musicien norvégien attaque le Quatuor à cordes n° 14 de Beethoven qu’il transforme pour une pièce chorégraphique, à savoir Uncoordinated Dogs, d’Ingun Bjornsgaard Prosjekt.
Ce travail trouve une seconde vie en album, bien qu’il n’efface pas son contexte initial à travers notamment sa structure minimaliste tournée vers la performance et la place qu’il laisse à l’expérience visuelle qui devient, dans le cadre d’un album enregistré, symbolique, des corps en mouvement. Comme à son habitude, Jenssen insuffle un vent polaire sur les notes de Beethoven via ses sonorités flottantes et éthérées, et dont les lignes sont prolongées jusqu’à effacer tout contour et silhouette. Le musicien se plaît à instaurer une sorte d’étrangeté, où les codes de la musique classique, dans ses variations et harmonies, dans sa lisibilité et dans ses constructions, se trouvent dissouts dans une sorte de paysage en ruines.
Mais la richesse de l’album tient aussi au dépassement de ces premiers éléments d’écoute, puisque s’y révèlent également une certaine complexité, comme dans « Angel’s Flight », « As Pale as a Pearl », où l’aspect réminiscent du premier et la profonde mélancolie du deuxième ne sont pas sans rappeler la charge sensible des compositions d’un Tim Hecker et d’un William Basinski. S’ensuivent des morceaux où les instruments à cordes de l’opus original sont rappelés davantage dans la structure musicale – comme dans « Unclouded Splendor » ou « Remote and Distant » – mais dans le but, encore une fois, de les extraire d’une quelconque harmonie afin de leur donner une profondeur et une gravité afin de les faire exister d’une manière autonome.
En ce sens, Angel’s Flight se révèle comme un album de haute volée, qui articule avec délicatesse et force différentes intensités, ainsi que des mouvements d’élévation et de descente d’un rare pouvoir évocateur.
AD 93 – 2021