Quatrième album du quatuor californien et son indie folk panoramique, menée par la voix et les talents de paysagiste de Ben Schneider.


Perdu dans les couloirs du temps.  Depuis le mirifique Lonesome Dreams (2012), Lord Huron semble coincé dans une faille spatio-temporelle entre une couche folk/rock americana traditionnelle et une autre pop atmosphérique. Alors qu’on entrevoyait, sur son prédécesseur Vide Noir (2018), une ouverture inédite vers le futur pour Ben Schneider et ses compagnons de voyage (notamment avec le titre Moonbeam et ses nappes synthérique période Sophtware Slump de Grandaddy), ce quatrième album ne suit finalement pas cette piste et opère un voyage (virage?) en arrière, dans un passé encore plus lointain que sur ces trois précédents opus. Ainsi Long Lost projette l’auditeur dans un « programme » radio de variétés des années 40 ou 50, où les compositions sont interférées par des fréquences radios et flashbacks enregistrés (six interludes en tout, on pense d’ailleurs au Good Morning Spider de Sparklehorse).

Ces derniers mois, bien avant la sortie de l’album, la formation américaine emmenée par le songwriter Ben Schneider (seul maître à bord de cette formation qui change de personnel régulièrement) avait d’ailleurs soigneusement construit une mythologie par le biais des réseaux sociaux, en diffusant des vidéos mettant en scène un étrange personnage fictif, Mr. Tubbs Tarbell, un résident du studio du groupe, Whispering Pines, qui aurait assisté aux séances d’enregistrement de l’album. Long Lost serait ainsi un album concept du long de ces 16 pistes, même si tout bien considéré, la musique de Lord Huron demeure, depuis ses débuts voilà 10 ans, un concept à elle seule. On retrouve ainsi sur Long Lost les thèmes fétiches traités sur les trois précédents albums : la solitude, le long voyage existentiel, la recherche d’un talisman mystérieux ou d’un amour perdu… Avec pour fil conducteur de ces émotions, la voix Ben Schneider, tellement vibrante, et décidément maudite. 

On tient personnellement pour acquis que Lonesome Dream est un des chef-d’œuvrs indie pop de la dernière décennie, tandis que ses successeurs Strange Trails et Vide Noir ont consolidé la place du groupe dans notre panthéon personnel.  Si la formation semble hélas bouder les scènes d’Europe depuis Vide Noir (Long Lost n’est hélas même pas distribué en France), leur succès aux Etats-Unis ne cesse de croître, ce quatrième opus ayant atteint la première place du palmarès Americana/Folk Albums du Billboard, détrônant même les Black Keys. Les Européens seraient-il hermétiques à leur musique évocatrice des grands espaces américains ?  On peine à le croire… Car au-delà des frontières terrestres et des cultures, Lord Huron possède un don musical rare, un puissant pouvoir de suggestion universel, celui de nous identifier à un voyageur solitaire, un exilé à la recherche de rédemption. Comment ne pas succomber à cette manière de nous faire rêver éveillé, dans cet univers Twin Peaksien, brumeux, où mélancolie et nostalgie dansent sur fond de  thérémine. 

Long Lost est exclusivement constitué de ballades. Seule l’exception, le single “Not Dead Yet”, étrange rockabilly à la Elvis, imbibé d’une esthétique lynchienne, fantomatique… Et à la rigueur peut-être aussi, “Mine Forever”, une entrée en matière avec mariachi façon Calexico, pincé d’un  zest de guitare surf Allah-Las. Si on aurait aimé un peu plus de rythme dans l’ensemble, Long Lost est un disque un peu long en bouche et moins immédiat que d’accoutumée, mais réserve tout de même son lot de trésors. En premier lieu les compositions augmentées d’orchestrations majestueuses : “Twenty Long Years” (à la belle effluve de lap steel), “Long Lost”,  “What Do I Mean”.  On pourrait aussi citer “Drops in the Lake” valse folk à la grâce incarnée, où sont instillés une harpe et des chœurs de sirène chimérique. On retiendra aussi « I Lied », quintessence du duo folk rêveur et déchirant, soutenu par l’interaction entre la sirène texane Allison Ponthier et Ben Schneider.

L’odyssey se termine sur 15 minutes instrumentales, une longue dérive ambient qui nous fait perdre tout repère de temporalité et résonne (en mode repeat) avec les dix premières secondes de l’album, comme si tout était un éternel recommencement. Si Long Lost mérite décidément bien son titre, Lord Huron sait toujours mieux que quiconque rembobiner nos cœurs. 

Whispering Pines Records – 2021

https://www.lordhuron.com/

Tracklisting :

1. The Moon Doesn’t Mine
2.  Mine Forever
3.  (One Helluva Performer)
4.  Love Me Like You Used To
5.  Meet Me in The City
6.  (Sing For Us Tonight)
7.  Long Lost
8.  Twenty Long Years
9.  Drops in the Lake
10.  Where Did The Time Go
11.  Not Dead Yet
12.  (Deep Down Inside Ya)
13.  I Lied (feat. Allison Ponthier)
14.  At Sea
15.  What Do It Mean
16.  Time’s Blur