Le talentueux guitariste new yorkais livre un beau sixième album contemplatif et solaire, ponctué de doux reliefs mélodiques.


Les trajectoires de Steve Gunn et de son confrère américain Ryley Walker ne cessent décidément de se croiser. Ces deux prodiges de la six-cordes catégorie indie folk, sont parmi les plus talentueux à avoir émergé cette dernière décennie. Outre le fait que les deux guitaristes sont actuellement basés à New York City, ils ont déjà enregistré un disque en commun, renforcé par le batteur Ryan Jewell, Flops In New York (2019), LP live contenant deux pièces instrumentales de 20 minutes enregistrées à Brooklyn. 

Autre similitude significative, après des débuts dans le giron folk instrumental, voire rock, Gunn (qui a un temps offert ses services à Kurt Vile) et Walker (catalogué à ses débuts brillant disciple de l’American Primitive) ont progressivement ajouté une septième corde à leur arc, celle vocale.  Mais si leurs carrières “grand public” leur réussissent plutôt bien, celles-ci ne leur empêchent pas à chacun de s’autoriser, entre deux sorties officielles, des échappées loin du carcan de la folksong acidulée, en multipliant les projets parallèles et collaborations, prétextes à à expérimenter que soit dans le rock avant-gardiste, le post-rock ou le jazz (on vous invite à visiter leurs pages discogs, il serait ici trop long d’énumérer la liste de leurs projets).

Prenons au mot Other You, le titre du sixième album solo “chanté” de Steve Gunn et son troisième pour Matador. Cet “autre” présenté ici serait donc son versant folksinger. Une voix qui décidément se bonifie au fil des disques, quelque part entre le wizard rock Jim Morrison et l’élégance toute britannique d’un Nick Drake. Comme tout bon compositeur folk-pop qui se respecte, Steve Gunn vénère Either/Or et XO, et nous ne sommes pas surpris d’entendre cette fois l’Américain collaborer avec le producteur Rob Schnapf – taulier du rock indépendant surtout connu pour son travail avec Elliott Smith. Le vétéran des studios contribue grandement à l’esthétique “soft” et classieuse qui se dégage de ce disque enregistré à Los Angeles entre 2020 et début 2021. Toutefois, ne pas s’attendre à une déclinaison de chansons pop-folk hommage au défunt songwriter de Portland. 

Accompagné de son fidèle collaborateur, le guitariste-claviériste Justin Tripp, Gunn peaufine ici son écriture mélodique contemplative, un brin mystique, développée sur ces trois derniers albums.  L’évolution ici se trouve d’ailleurs plutôt sur la forme que sur le fond, à savoir sur le plan des arrangements des chansons, qui n’ont jamais été aussi denses. Pour cela, Steve Gunn s’est entouré de quelques prospecteurs de sons de choix : la divine Julianna Barwick, magicienne des harmonies vocales enchanteresse, le guitariste et improvisateur Bill McKay (proche également de Walker), le guitariste Jeff Parker (Tortoise) ainsi que le batteur Ryan Sawyer (TV On The Radio, Thurston Moore). 

La première plage nous plonge d’emblée dans un état de plénitude, on se laisse porter par les paysages sonores à la fois spacieux et foisonnant. Une musique facile d’écoute en apparence, mais dont on est bluffé par la profondeur instrumentale, très dense pour peu que l’on concentre nos esgourdes sur les éléments : Gunn y superpose plusieurs couches de  guitares country folk ou électrique, enrobé de feedback et de guitares wah atmosphériques, le tout étoffé de nappes de claviers éthérés, pianotis suspendus, effets de bande reverse, feed-back big starien…Cette pédale wha atmosphérique, que Gunn affectionne tant, imprègne tout l’album dans un état vaporeux, semi inconscient, chimérique…  “Protection” pourrait presque sonner funky, mais préfère rester suspendu à son nuage… 

Il n’y a très peu de solos de guitares, tout semble converger dans la même direction douce et harmonieuse (« Good Wind, On the Way »). Chaque titre est d’ailleurs en soi une invitation au voyage : « Morning River », « Good Wind », « Circuit Rider », « On The Way »... Même « Sugar Kiss », seule pièce instrumentale du disque, ne perturbe pas l’ambiance générale, une ôde folk à la béatitude de près de six minutes, sertie de harpes et E-Bow… les amateurs d’arpèges folk et de mellotron délicats trouveront en « The Painter » une toile à la hauteur de leurs idéaux.

Enfin, « Ever Feel That Way », est un final en forme d’eden pastoral qui n’aurait que n’aurait pas renié le regretté folker Michael Chapman de la période Fully Qualified Survivor. Le titre résonne d’autant plus fort que ce grand monsieur vient de nous quitter ce week-end. So long Mr Chapman… 

Cet Other You possède des vertus transcendantes, quittons nos enveloppes corporelles et rejoignons le shaman Steve Gunn dans ses explorations mystiques.

Matador/Beggars – 2021

http://www.steve-gunn.com/

Tracklisting :

  1. Volume 1
  2. Other You
  3. Fulton
  4. Morning River
  5. Good Wind
  6. Circuit Rider
  7. On The Way
  8. Protection
  9. The Painter
  10. Reflection
  11. Sugar Kiss
  12. Ever Feel That Way