Sur son premier album en solitaire, Spencer Cullum rend hommage aux héros de la psych-pop, du folk et du proto prog des années 60 et 70 de son pays natal. Un petit trésor rétro du XXIe siècle.


Si vous cherchez le disque pour rentrer délicatement dans l’automne, vous imprégner de la danse des feuilles jaunies, des journées qui raccourcissent et ressortir ce vieux pull en laine qui vous fait du gringue dans le placard, ne cherchez plus, ce Spencer Cullum’s Coin Collection est tout désigné pour vous. Voilà un disque de folk-rock dans la grande tradition briton sous l’égide de Fairport Convention et ses moultes ramifications via Richard & Linda Thompson, la regretté Sandy Denny, ou encore l’école psyché-prog de Canterbury via Caravan, Kevin Ayers, Robert Wyatt, voire même un soupçon de scène rock allemande d’antan… Notre boussole perd pourtant le nord lorsqu’on constate que cette merveille a été enregistré à Nashville (Tennessee), la grande Mecque de la country. 

Et pour cause, son géniteur Spencer Cullum est un musicien anglais exilé à Nashville depuis plusieurs années.  Avant de revêtir aujourd’hui sa veste en tweed de folker, il était déjà reconnu dans le milieu pour louer ses talents de guitariste lap steel. Le joueur de pedal steel a appris à tâter du bottleneck avec « B. J. » Cole, légende britannique de la pedal steel, qui a enregistré depuis près de cinquante ans avec tout le gratin d’Elton John à Procol Harum en passant par Cat Stevens, David Sylvian ou encore Depeche Mode. Nous, on a pu l’entendre sans le savoir sur certains disques rangés sur nos étagères, notamment ceux de Herman Dune, Deer Tick, Dylan le Blanc ou Miranda Lambert. Cullum est aussi membre fondateur du duo Steelism avec le guitariste Jeremy Fetzer, auteurs d’une poignée d’albums instrumentaux mélangeant entre autres americana, jazz, surf musique et les B.O d’ Ennio Morricone…

Toutefois, son instrument de prédilection ne tire en rien la couverture sur ces neuf titres, car d’une manière générale, l’americana n’a pas vraiment lieu d’être cité. Cullum explique lui-même cette volonté anglo-centrée : “Je voulais écrire un très quintessentiel disque de folk anglais, mais avec de très bons musiciens de Nashville”.  Produit par Jeremy Ferguson (Lambchop) dans son studio Battle Tapes Recording de Nashville, ces 40 minutes et des poussières ont été enregistrées avec la crème des sidemen locaux, comme le guitariste Sean Thompson et le multi-instrumentiste Luke Reynolds (Sharon Van Etten, War on Drugs…), ainsi que des partenaires de chant et d’écriture comme Caitlin Rose, Andrew Combs, Erin Rae, Annie Williams et James « Skyway Man » Wallace.

Arpèges folk délicat, piano posé accompagné d’une voix féminine rêveuse (“fly, fly away sorrow…”), gazouillis en arrière fond… les contemplatifs “Jack of Fools” et “To Be Blinkered”, nous introduisent dans un eden de folk feutré. Quand on évoque le meilleur de la folk britannique, difficile de contourner Nick Drake, et c’est ici le cas sur les superbes Imminent Shadow, My Protector et Seaside, nappés d’arrangements de cuivres aristocratiques (haut-bois, cor de basset). 

A y écouter de plus près, on y entend tout de même quelques relents americana, notamment dans la sonorité d’une Telecaster, ou d’une lap steel mixée en retrait. Le cotonneux « The Dusty Floor », chanté en duo avec Annie Williams, prend le large dans les dernières mesures avec un solo de six-cordes horizontal aux aspérités country, mais sans trop s’éloigner des côtes britannique. Plus étonnant, « Dieterich Buxtehud » tire la corde Kraut sur plus de 8 minutes, boosté par une rythmique motorik, tout en pulsation façon Neu!. Quelques touches free jazz font aussi leur irruption sur le très chic “Tombre en morceaux” (en français siouplai) où l’on retrouve notre folker national David Ivar d’Herman Dune (Cullum joue sur son dernier opus). Lorsque Spencer Cullum emprunte ces chemins proto-prog aventureux, nous sommes clairement dans l’arène du The Trials of Van Occupanther de Midlake. C’est dire le niveau de ce disque ultra raffiné qui n’est pas prêt de quitter notre bonne vieille platine cet automne. 

2021 -Full Time Hobby.

Bandcamp

https://www.spencercullum.com/

Tracklist

1. Jack of Fools
2. To Be Blinkered
3. Tombre en Morceaux
4. Imminent Shadow
5. Seaside
6. Dieterich Buxtehude
7. The Dusty Floor
8. My Protector
9. The Tree