Le nouveau gourou du rock californien rabat les cartes avec cet album ambitieux, débridé et cinématographique.


Avec Jonathan Wilson, ce ne fut pas d’emblée le coup de foudre, mais plutôt une relation en dent de scie. Notre première rencontre avec le songwriter et producteur américain remonte à 2012, sur la scène du Grand Rex à Paris, en ouverture du regretté Tom Petty & The Heartbreakers. On garde en mémoire des envolées prog-psyché soignées, comme si le Pink Floyd période Meddle partait en randonnée dans Laurel Canyon. Cela tombe bien, il vit exactement dans ce mythique quartier des hauteurs de LA.

Toutefois, Gentle Spirit, son disque sorti alors quelques mois auparavant, n’avait pas le même charme à notre goût, le poids des références alourdissant un peu trop le propos. Ce n’est que six ans plus tard que nous nous repencherons sur le cas Wilson, cette fois complètement conquis par le somptueux Rare Birds (2018). Sur son troisième album pour le label Bella Union, le stakhanoviste s’émancipe de son image “rocker néo vintage” pour révéler une touche plus moderne, rehaussé de synthé atmosphériques.

Devenu un producteur incontournable, Jonathan Wilson loue ses services aussi bien aux figures contemporaines du paysage rock outre-atlantique (Father John Misty, Margo Price, Angel Olsen), que ses vétérans (Jackson Browne, Graham Nash). Sans compter ses piges pour Roger Waters en tant que guitariste et chanteur lors de sa tournée US + THEM en 2017-18 et encore aujourd’hui. Toutefois, la suite Dixie Blur (2020) n’avait hélas pas prolongé l’état de grâce de Rare Birds, du moins à notre goût. Enregistré avec la crème des musiciens de Nashville, l’ouvrage donnait plutôt l’impression d’être un petit caprice d’enfant gâté.

Mais il ne fallait pas enterrer si vite le prolifique quadra, Eat The Worm rabat encore les cartes. L’ex résident de Laurel Canyon aujourd’hui installé du côté de Topanga Canyon où il a construit son nouveau sanctuaire, le Fivestar Studios, semble traverser une période expérimentale. Première constatation, ses douze nouvelles compositions semblent à première vue rangées des guitares. Construit essentiellement autour du piano, les cordes et les cuivres y sont très présentes, souvent employées d’une manière peu orthodoxe, comme guidées par des idées un peu folles, sur fond de cabaret – les sections sont d’ailleurs composées des musiciens C.J. Camerieri (Bon Iver), Rita Andrade (Kanye West), Wynton Grant (Miley Cyrus, Hans Zimmer) et Paul Cartwright (Lana Del Rey).

Petit florilège de de ces délires symphoniques, Charlie Parker semble mélanger dans un grand shaker une multitude d’éléments : cordes et cuivres, mais aussi cloches tubulaires, guitares expressionnistes, ou encore éléments bebop. Eat The Worm est un disque incroyablement dense, fourmillant de détails, de bruitages. Cela donne une surprenante épopée orchestrale, d’une couleur très narrative, voire cinématographique. Son géniteur dit s’être inspiré de sa vie de musicien itinérant ces dix dernières années, mais aussi d’expériences vécues durant sa jeunesse à Boston dans les années 1980, en Caroline du Nord au début des années 1990 et dans un festival de jazz européen du début des années 2000. Sans véritable chronologie, les séquences semblent fonctionner comme des flashbacks, de temps à autre, une mélodie divine surgit, et frappe par sa beauté. Comme sur The Village Is Dead, folk-pop de deux minutes escorté de cordes tournoyantes, avec son vidéo clip en hommage à Moondog (chaque clip animé vaut visuellement le détour). 

“Bonamossa”, bascule radicalement vers une sorte morceau incantatoire, où une machine à écrire du siècle dernier semble faire office de sample rythmique, avant d’être prise au dépourvu par une section de violons grandiose. Ou bien Hollywood Vape, sorte de krautrock/trip hop inquiétant qui se transforme en film glaçant ambiance Nosferatu version Herzog. “Marzipan, qui inaugure l’album, ne joue pas pourtant d’emblée dans la surenchère avec son piano solitaire mâtiné de balais jazzy.. puis des cordes apparaissent progressivement, une poignante trompette solennelle s’entend au loin… une entrée en matière très classieuse. 

On sent que Wilson prend un immense plaisir à mettre en scène ses différentes ambiances, prendre des risques (Wim Hof, avec son ambiance bossa, sa boite à rythme cheap et ses arrangements dissonants). Sur le poignant Lo and Behold, seule composition de l’album où une six-cordes est mise en évidence, le songwriter se révèle un interprète sensible, surprenant de théâtralité. Quelque part entre Father John Misty et Song Cycle de Van Dyke Parks, Eat The Worm est une œuvre hors-norme, certes pas immédiatement domesticable, mais qui n’a pas fini de nous révéler tous ses secrets.

BMG / 2023

https://www.songsofjonathanwilson.com/

Tracklisting :

1. Marzipan (5:15)
2. Bonamossa (4:27)
3. Ol’ Father Time (3:36)
4. Hollywood Vape (2:46)
5. The Village Is Dead (2:52)
6. Wim Hof (3:23)
7 .Lo and Behold (3:11)
8. Charlie Parker (6:13)
9. Hey Love (2:53)
10. B.F.F. (5:19)
11. East La (5:05)
12. Ridin’ in a Jag (5:08)