Avec ce onzième opus studio, les redoutables riot grrrl d’Olympia opèrent un magistral retour électrique, sur la corde raide.

Pour la déflagration sonique The Woods, dont on conserve encore des séquelles auditives près de vingt ans après sa sortie, nous garderons toujours un profond respect pour Sleater-Kinney. Même si les riot grrrls d’Olympia semblaient depuis cinq ans, à regret, glisser doucement sur une pente bien savonnée. Avec le départ d’une des membres historiques Janet Weiss en 2019, suite au virage synthétique raté de The Center Won’t Hold, notre intérêt pour la formation originaire d’Olympia s’est étiolé. Réduit désormais au binôme guitare/chant Corin Tucker et Carrie Brownstein, le couple a tenté de rectifier le tir avec Path of Wellness, produit pour la seconde fois d’affilée (la première était déjà de trop) par Annie Clark alias St. Vincent , en convoquant à nouveau les guitares stridentes, l’urgence toutefois en moins.

Alors qu’on n’attendait plus grand chose de ce 11e opus studio de la formation en activité depuis 1994, la surprise est de taille. Quelque chose s’est passé, une hargne qu’on ne reconnaissait plus aux S-K, est perceptible dès l’inaugural et bien nommé Hell. Le chant de Carrie Brownstein s’enflamme au bout d’une minute, du PJ Harvey des grands jours saturés (To Bring you My Love) sur un texte incroyablement noir (Hell don’t have no worries / Hell don’t have no past / Hell is just a signpost when you take a certain path).

Car c’est triste à dire, mais il faut parfois un séisme personnel pour que l’inspiration d‘un artiste revienne. Le prix ici est cher payé, Little Rope est hanté par le décès brutal de la mère et du beau-père de Carrie Brownstein, lors d’un accident de la route en Italie en 2022. 

Si une grande partie de l’album avait déjà été composé avant le drame, les sessions d’enregistrement qui se sont déroulées par la suite, au studio Flora Recording  & Playback à Portland, ont été émotionnellement impactés. L’interprétation peut changer du tout au tout, et ces dix titres en sont l’exemple parfait. Assis au siège de producteur, le vétéran John Congleton, devenu ces dernières années un spécialiste du rock alternatif féminin  (Anna Calvi, Sharon Van Etten, Angel Olsen….) est l’homme parfait pour rendre justice à ce retour rageux des punk rockeuses, cet alliage explosif de Slits meet Fugazi. 

Le son est décapant – la basse littéralement monstrueuse sur Six Mistakes et Hell-, mouvant du disco post-punk (Crusade) aux courses tendus, florilège de dissonance électrique (Needlessly Wild et son lead guitare génial à trois notes).Quelques claviers sont là, relativement discrets, comme sur le remarquable Dress Yourself, et le plus poppy Don’t Feel Right. Il y a un même un tube potentiel, Say It Like You Mean It, flanqué d’une mélodie vibrante qui sonne un peu comme du Arcade Fire, où Corin Tucker chante une violente rupture sentimentale “Say it like you mean it / I need to hear it before you go / Say it like you mean it / This goodbye hurts when you go.” D’ores et déjà un incontournable de leur setlist en concert. 

A l’exception d’une baisse de régime à mi-parcours (le ventre mou Hunt You Down et Small Finds), Little Rope (petite corde) nous p(r)end par le coup pour nous dire que nous avions enterré un peu trop prématurément Sleater-Kinney. Qu’il est bon parfois de se tromper.

Loma Vista / Universal – 2024

Producteur : John Congleton

Tracklisting :

1. Hell 
2. Needlessly Wild
3. Say It Like You Mean It
4. Hunt You Down
5. Small Finds
6. Don’t Feel Right
7. Six Mistakes
8. Crusader
9. Dress Yourself
10. Untidy Creature