Le dixième album du groupe de Jeff Martin renoue avec la rugosité mélancolique des guitares quatre-cordes, et de sa superbe brume électrique.


Au grand regret des “Idahophiles” de longue date, le “laps” de temps entre chaque nouvel album d’Idaho s’espace de plus en plus. De fait, ce huitième album du groupe slowcore californien fondé en 1992 par Jeff Martin et John Berry (décédé en 2016) nous arrive treize ans après son précédent effort studio, You Were a Dick. Lapse ne bénéficie même pas d’une distribution en France (comme ce fut le cas avec les deux précédents via la maison bordelaise Talitres), son nouveau label canadien Arts & Crafts n’en a manifestement pas fait une priorité. Passé de fait inaperçu chez nous lors de sa sortie en mai outre-atlantique, nous tentons de réparer cette injustice.

Avant de se lancer dans cette chronique, une interrogation se pose : que reste-t-il aujourd’hui de la sainte trinité du mouvement slowcore des années 1990, à savoir Low, Red House Painters et Idaho ? Peu de choses à vrai dire depuis la triste fin de Low, suite à la tragique disparition de Mimi Parker (décédée d’un cancer en novembre 2022), son compagnon Alan Sparhawk voguant désormais en solo dans des contrées très electro-avant gardiste. Quant à l’ex Red House Painters Mark Kozelek, le cas est encore plus délicat, engoncé dans des disques en spoken-word soporifiques, et des accusations d’agressions sexuelles en 2020 suite à des révélations faites par Pitchfork.com.

En ces circonstances, la réapparition d’Idaho sur la map slowcore est un soulagement. Lapse laisse d’abord l’impression d’un retour au son brut, distordu et dissonant des années 1990, par le prisme évident des guitares quatre-corde, signature indissociable du son de Jeff Martin à cette époque. Une signature qui s’était diluée depuis le nouveau millénaire par la proéminence de claviers et de textures ambient. You Were a Dick (2011) et The Lone Gunman (2005) tendaient ainsi vers des compositions très cinématographiques et à la fois personnelles. 

Les dix nouvelles compositions qui constituent ce 10e opus renouent donc vers une approche live, organique, appuyée par une batterie mixée en avant.  Celle-ci d’ailleurs ouvre le titre inaugural, Kamikaze, tout en lévitation via une superbe trainée de bottleneck jouant sur le larsen, un titre qui semble tout droit sorti des sessions de Three Sheets to the Wind (1996) et The Forbidden EP (1997). Nous sommes d’emblée en terrain conquis. 

Ce recentrage autour des quatre-cordes fait manifestement suite à un bouleversement de méthode pour le cerveau en  chef et multi instrumentiste Jeff Martin. Depuis la majestueuse trilogie Alas/Heart of Palm/Levitate, on sait que la tête-pendante d’Idaho a pris l’habitude de composer et enregistrer en solitaire, quasi en autarcie. La rupture (ou le déclic) aujourd’hui vient du guitariste Robby Fronzo. Une jeune recrue dont l’apport sur l’album a été déterminant, assure Martin, à l’époque un peu perdu dans son processus solitaire. Ce dernier raconte dans le livret que les sessions d’enregistrement commencé en janvier 2022, se sont déroulées dans la maison de sa mère, isolée dans le désert californien. Fronzo a ainsi contribué à compléter les pièces complexes du puzzle. L’environnement aride aurait aussi influé sur le contenu de l’album, et cela s’entend. 

Si le caractère épuré et ralenti des compositions peut d’abord paraître un peu monolithique, au fil des écoutes, des contrastes, des tonalités subtiles se révèlent, notamment sur West Side (teinté en arrière-plan d’un Wurlitzer, orgue,et pour la touche exotique marimba et shaker) ou encore Snakes aux beaux arpèges lacrymales, encore délicatement souligné d’un Wurlitzer. La voix sur la brèche de Jeff Martin, à la fois douce et inquiète, n’a quant à elle rien perdu de son pouvoir de séduction. Spécialement sur le cotonneux Somehow, qui nous prépare pour un alunissage tout en grâce sur les terres d’Alas (1998). Across The Sky, est un des grands sommets du disque, nous enveloppe gracieusement de son feedback lancinant.

Ce larsen spectrale est véritablement le troisième membre d’Idaho. Une présence qui hante Lapse dès les premières notes et qui le clôture magnifiquement sur le bref mais somptueux 29 Palms. Cette dissonance singulière, brouillard électrique érigée proprement au rang d’art, continue de nous hanter bien après l’écoute du disque.

Arts & Crafts / 2024

https://www.idahoband.com/

https://www.youtube.com/

Tracklisting :

1. Kamikaze (3:32)
2. On Fire (3:10)
3. West Side (3:18)
4. Heaven on Earth (2:31)
5. Heat Seek(2:39)
6. Somehow (4:07)
7. Snakes (3:33)
8. Across the Sky (2:52)
9. Throw the Game (4:09)
10. 29 Palms (1:19)