Sur la pochette de l’album St Slide, on voit un type poser, à l’allure imposante, arborant tatouages, boucles d’oreille et chaîne au cou bien visible. A s’y méprendre, Bjorn Berge ressemble plus à un rappeur mac affichant fièrement sa virilité qu’à un doué de la douze cordes. Pourtant, une fois le disque sur la platine on y entend bien du blues.
Par provocation d’une part mais aussi pour montrer que cataloguer des artistes dans un genre musical revient à avoir une faible ouverture d’esprit, le norvégien aime brouiller les cartes et détruire les frontières entre les musiques. Qu’on s’appelle Motorhead, Zappa, NAS ou Morphine, chacun se retrouve derrière une même émotion et partage sa passion de la musique. Alors pourquoi ne pas les reprendre à la guitare acoustique sur un même album? Chose faite avec ce sixième opus St Slide où les covers ont autant d’importance que les compositions personnelles et s’immiscent parfaitement dans la vision qu’a notre interprète du blues – la liberté dans la diversité.
En ce mois de janvier, nous avons donc rendez-vous avec le « phénomène » des dernières Transmusicales de Rennes. Et il est vrai qu’en concert, Berge dégage une énergie incroyable. Seul avec sa guitare, ses doigts glissent sur le manche de son instrument avec une dextérité étonnante et son charisme d’entertainer emballe le show. De ses performances, il découle un blues à l’état brut qui honore dignement ses racines historiques.
Alors qu’on attend en cette fin de matinée le norvégien, rentré à l’hôtel très tard, on en profite pour discuter avec la belle Ambrosia Parsley, elle aussi en pleine promotion du dernier album de Shivaree. A peine Bjorn Berge arrivé qu’il s’excuse de son retard. On n’osera pas lui avouer qu’il aurait pu dormir encore un peu.
A l’image de son nom (il nous dira qu’en norvégien, Bjorn désigne un ours et Berge une colline) Bjorn Berge est une personne robuste mais qui n’impressionne que par son physique. Il se révèle alors chaleureux et sensible. Son discours est sincère et d’une modestie exemplaire. Il ne cherche jamais à jouer les gros bras ou les grandes gueules, l’honnêteté de sa musique et l’humilité de son propos priment sur toutes les poses et baratins du monde. Dommage qu’en Norvège le mot roi soit un nom déposé, notre homme aurait pu s’appeler King Slide.
Bjorn Berge: La Norvège est un pays assez conservateur. J’aime bien jouer avec l’ambivalence de mon image. Pas nécessairement pour choquer ou provoquer mais attirer l’attention. Les médias ont tendance à coller des étiquettes aux artistes, aussi si une personne achète mon disque en pensant y écouter du rap et découvre un autre style la surprise est encore plus captivante. J’ai un physique de catcheur mais les gens qui me connaissent te diront que je suis quelqu’un de réservé, timide dans la vie mais lorsque je suis sur scène, je suis emporté par les chansons. J’aime le côté brut du rock comme du blues. Et je puise dans cette énergie pour libérer la musique de ses contraintes conformistes.
Pinkushion : Comment s’est forgé ton goût pour la musique ?
Bjorn Berge: Mon père, mon frère et mon fils jouent de la musique pour se distraire. Mon père pratique le piano et la guitare mais je ne pense pas avoir nourri une certaine aptitude pour la musique à son contact. Peut-être que dans les gênes il m’a transmis un don.
A douze treize ans, j’ai commencé à gratter un peu de guitare puis deux ans plus tard j’ai rejoint un groupe où j’alternais entre guitare et mandoline sur des compositions folk. Je n’ai jamais rêvé d’être une star mais le désir de me surpasser et de rivaliser avec les grands guitaristes m’a poussé à progresser dans mon jeu. Mon apprentissage s’est passé assez naturellement. Jouer des heures et des heures dans ma chambre était un plaisir, une discipline que je m’imposais mais qui restait un divertissement avant tout. J’ai appris à jouer sans prendre de leçon, je suis une sorte d’autodidacte. J’improvisais sur ma guitare et m’inspirais de certaines techniques prises dans les livres. Principalement, j’écoutais des disques et j’essayais de reproduire les mêmes sons et tant que je n’y arrivais pas je persévérais.
Plus tard, lorsque j’ai eu l’âge d’aller dans des clubs, je regardais attentivement jouer des musiciens expérimentés et de retour chez moi je cherchais à les imiter.
Ma principale influence fut le guitariste Roy Rodgers qui devint producteur notamment de l’album Healer de John Lee Hooker. C’est un musicien formidable, un petit bonhomme mais d’une grande classe. Je l’ai vu jouer pour la première fois au début des années 80, j’avais quinze seize ans et depuis je garde un souvenir incommensurable de ses prestations live. Je continue à assister à des concerts, au delà de l’émotion partagée je trouve que c’est la meilleure façon d’apprendre.
Pinkushion : Quel genre de style écoutais-tu plus jeune ?
Bjorn Berge : Sur la chaîne familiale, je passais des disques vinyles de vieux blues. J’aime bien ce son qui gratte, ces voix éraillées des chanteurs qui jouent avec leurs tripes comme si la musique était vitale. J’écoute des gens comme Robert Johnson, Mississipi John Hurt, Skip James, tous ces maestros du delta blues. John Hammond, Johnny Winter, Steve Ray Vaughan. Puis, je me suis intéressé à la country, au rock, divers styles qui puissent me toucher où je puise mon inspiration. Mais mon apprentissage musical vient du delta blues avant tout.
(Ndlr- La discussion porte alors sur les différents films produits par Martin Scorsese en hommage au blues. Bjorn Berge avoue son amour pour les musiciens mis en valeur dans les films qui ont compté énormément dans son choix de devenir musicien).
Pinkushion : Te définirais-tu comme un strict bluesman ?
Bjorn Berge : Aujourd’hui, je suis satisfait de voir qu’il y a encore des musiciens qui perpétuent les traditions du blues dans sa façon d’être joué comme à ses débuts. J’essaie de mon côté d’apporter ma pierre à l’édifice et d’être le plus sincère possible dans mon jeu. De la même manière, j’essaie de faire entrer le blues dans des musiques rock car je pense que pour développer le blues il doit être confronté à d’autres styles. Pour ma part, j’ai un pied dans le blues, un autre dans le rock. Et de ces influences, je concocte un mélange qui dégage l’essence même du blues. Il est important de préserver les traditions et pour les préserver il doit se mesurer à d’autres genres musicaux. Je regardais l’autre fois MTV et j’y ai vu le rappeur NAS qui samplait Muddy Waters et le résultat était plutôt honnête.
Ce que j’aime par dessus tout dans le blues acoustique c’est la liberté que t’offre de pouvoir jouer n’importe quel morceau et sans nécessairement avoir des musiciens autour de toi. Chacun peut interpréter une chanson, même seul.
Pinkushion : C’est cette liberté de pouvoir jouer seul qui te permet de ne pas être entouré d’un groupe ?
Bjorn Berge : J’ai tourné avec beaucoup de groupes mais en effet je préfère cette liberté de pouvoir jouer seul et j’ai conscience que c’est un luxe ! Te retrouver seul sur scène face à un public donne des frissons et je prends énormément de plaisir à dialoguer avec les gens et ma guitare. J’ai sorti deux ou trois albums avec des groupes sur les six que compte ma discographie, sept si tu ajoutes mon premier disque que j’ai autoproduit. (Ndlr- St Slide est le premier album de Bjorn Berge à être distribué en France, les autres sont disponibles via son site web).
Pinkushion : Comment t’es-tu retrouvé à passer un contrat de distribution avec le label Night&Day pour la France ?
Bjorn Berge : C’est très difficile de sortir un album en dehors de la Norvège pour des artistes locaux car les maisons de disques ne donnent pas toujours la chance aux musiciens de s’exporter. Peut-être pensent-ils que nous ne sommes pas assez bons pour intéresser les autres pays. Comme la Norvège a une superficie petite, on pourrait penser qu’on s’ouvre plus facilement sur l’extérieur ce qui est vrai en terme de communications mais dans la musique on a plus tendance à recevoir des artistes d’autres pays que de faire des tournées à l’étranger. J’ai eu la chance de rencontrer il y a deux ans lors d’un festival en Hollande le Show Case festival des personnes qui m’ont proposé de sortir mes disques dans cette partie de l’Europe. En Norvège, à l’époque j’étais distribué par une maison de disque de taille internationale, Warner Music et puis je suis passé chez Chicken Farm qui souhaitait distribuer mes disques en dehors du pays. J’ai rencontré alors une personne qui s’appelle Igor et qui m’a mis en contact avec Night&Day qui à son tour m’a mis en contact avec le tour management en France. Mon rêve de tourner en Europe est devenu réalité.
En fait, cette opportunité me permet de me faire connaître ailleurs qu’en Norvège même si ici il n’y a pas de problème pour bien gagner sa vie en étant musicien. Il y a tellement de clubs (environ une centaine de blues) sans compter les bars pour te produire qu’en fait tu n’as pas besoin d’aller à l’étranger pour vivre de ta musique. C’est juste une question de reconnaissance.
Pinkushion : Te sens-tu impliqué dans une scène locale ?
Bjorn Berge : Je connais St Thomas. Je ne joue plus dans les clubs norvégiens car ils sont très conservateurs et que je suis trop rock pour eux – ils ne cherchent que des musiciens jouant du pur blues. De temps en temps, ils m’invitent quand même (Ndlr- Rires).
Je préfère travailler avec des labels indépendants car le dialogue est plus sincère même si on gagne moins d’argent que sur des grosses maisons de disques. Mais au moins lorsque tu demandes s’ils aiment ta musique et s’ils veulent t’enregistrer il n’y a pas de détour, le contact est direct. St Thomas tient une démarche similaire à la mienne, il signe avec des labels indépendants pour garder sa liberté de sortir ses disques où bon lui semble et passe des contrats en licence de distribution dans les autres pays comme avec le label Glitterhouse records.
Pinkushion : Tu sembles avoir une vision très lucide du monde de la musique ?
Bjorn Berge : J’ai commencé tard à jouer de la musique peut être parce que j’avais trop de respect envers les musiciens de blues. Il y a presque dix ans, j’ai commencé à enregistrer ma musique. Mon premier disque date de 1997 et je savais déjà ce que je voulais faire et avais une vision plus ou moins précise de ma carrière. Pourtant, c’est intimidant de jouer ses propres morceaux face à des personnes que tu ne connais pas. Même devant ma femme, je n’ose pas toujours lui jouer mes nouvelles chansons. Je me souviens lors de ma première session d’enregistrement je ne voulais pas dire aux techniciens que sur les bandes c’était moi. Et puis j’ai pris confiance et me suis dit soit ils aiment ou soit pas, mais je sais où je veux aller.
Pinkushion : Est-ce pour une raison d’appréhension ou de considération que tu fais souvent appel à des paroliers pour écrire les textes de tes chansons?
Bjorn Berge : Je n’écris pas toujours les textes car c’est un exercice très difficile d’utiliser les bons mots pour décrire un sentiment particulier. Exprimer des émotions à travers des mots requiert un certain talent. N’importe qui est capable d’écrire des bouts de phrases sur un papier mais de donner à un texte une luminosité c’est plus rare. En général, je dis à la personne en charge des paroles quel type d’ambiance je veux en fonction de la chanson, de l’humeur du moment et je lui demande d’éviter des raccourcis trop évidents comme utiliser des mots banals comme love pour une chanson d’amour, que le texte suscite une évocation. Aujourd’hui encore plus qu’il y a cinquante ans, il est difficile d’écrire des bons textes car on juge de la qualité d’une écriture. Je travaille actuellement avec Tim Scott, un américain qui vit en Norvège, – Bruce Springsteen a repris une de ces chansons je crois que c’est « High Hopes » – c’est un conteur d’histoires formidable. (Ndlr- Tim Scott vient de sortir un album distribué par Chicken Farm et disponible via le site web de Bjorn Berge).
Pinkushion : Sur St Slide, tu reprends des chansons de Tom Waits, Morphine, Motorhead, Frank Zappa. Quelle est à ton sens l’unité entre ces artistes pour que tu associes leurs chansons sur un même album ?
Bjorn Berge : Je reprends des chansons dont j’apprécie les auteurs et qui puissent être jouées sur une guitare acoustique. Pour moi c’est la raison principale qui me motive pour les mettre sur un même disque. Du fait que j’écoute des styles de musique différents, chacun trouve sa place dans mes albums et ainsi je montre la diversité en même temps qu’une certaine cohérence entre le blues et les autres genres. Avant d’enregistrer les chansons, je les joue en public et si je vois que les gens perçoivent des émotions, je peux la mettre en boîte. La première reprise que j’ai faite est « Give it away » des Red Hot Chili Peppers sur mon album précédent. J’étais en balance et je grattais ma guitare et j’ai senti que quelque chose se produisait sur cette cover. De plus, lorsque je reprends une chanson je la joue en respectant la façon dont elle a été enregistrée initialement mais en lui apportant ma propre touche et avec un certain sens de l’humour pour ne pas trop se prendre au sérieux. Quand tu joues « Ace of spades » sur une douze cordes tu dois avoir de l’humour.
Je suis en train de travailler sur des reprises de chansons françaises mais pour l’instant ça reste un secret ! (Ndlr- Sourires). Et puis un de mes rêves serait de collaborer avec Rick Rubin, ce qu’il a fait sur les albums de Johnny Cash est tout simplement époustouflant. Je crois que je vais lui envoyer quelques chansons.
Bjorn Berge – St Slide
-Le site de Bjorn Berge