Voici le genre de disque pour lequel vivent certains chroniqueurs chez Pinkushion (…) : ovni délirant de qualité qui vous met de très bonne humeur.
On ne sait trop, avant de poser le disque dans le lecteur, à quoi on aura droit exactement. En effet, lorsque des chanteurs de formations hard décident de rouler leur bosse tout seul, ça passe ou ça casse. On pense au chanteur de Soundgarden, mais aussi à celui de Faith No More. En tout cas, ces chanteurs au fort potentiel vocal finissent toujours tôt ou tard par voler de leurs propres ailes. Et ça peut donner tout et n’importe quoi. Une cohorte de fans leur est garantie quoi qu’il arrive, et puis d’autres, bourrés de préjugés à leur encontre lorsqu’ils étaient frontmen de la dite formation, seront étonnés (et séduits) par leur virage à 180°. C’est encore une fois le cas ici, et le chanteur-guitariste de Silverchair vient alimenter d’un nom supplémentaire la liste ci-dessus car on est bien loin de ce que pouvait offrir Silverchair. Et ne voyez dans cette dernière phrase aucun sous-entendu sur le groupe australien qui a vendu des disques par camions entiers… Non, il n’y a pas de sous-entendu : la musique que fait Daniel Johns avec Paul Mac n’a absolument rien à voir avec Silverchair, point barre. On a du mal à dire dans quelle catégorie celle-ci pourrait être relayée d’ailleurs. On va tenter…
Paul Mac, connu en Australie surtout dans le milieu de la dance et de l’électro, et pour ses remix de nombreux artistes australiens (dont INXS ou Powderfinger), fait ici office d’homme-machine ou homme-orchestre, au choix, mais disons que c’est le maître-sorcier qui donnera du goût à la potion. L’ingénieur si vous préférez. Ayant sympathisé derrière les manettes à l’enregistrement d’un album de Silverchair (Freak), puis les ayant accompagné en tournée, Paul Mac va très vite devenir inséparable d’avec Daniel Johns, tous deux ayant une même envie de tâter d’autres espaces sonores. En témoigne l’EP I Can’t Believe It’s Not Rock, sorti en 2000, qui fait figure de préhistoire du duo. Il leur donnera surtout envie en 2003 de créer The Dissociatives (nom pour le moins contradictoire), histoire d’aller jusqu’à la moelle de leur projet. Enregistré principalement à Londres, l’album sera finalisé à Sydney et Newcastle et produit par le binôme. En gros, Daniel Johns a écrit les mélodies et les paroles, pendant que Paul Mac s’est occupé de tout le reste.
Accompagné non plus par des guitares tonitruantes et une – lourde – batterie, la – très belle – voix de Daniel Johns mais par des machines, ce qui donne au tout un aspect assez électronique, avec moult synthés et samplings de toutes sortes. Des titres comme « Forever and a day », pépites pop qui explorent des régions assez atypiques, offrent un espace réellement propice à mettre en – grande – valeur la voix de Daniel Johns, qui est vraiment époustouflante. Quand on pense que dans sa formation précédente, il passait souvent son temps à crier et gueuler alors qu’il a une voix d’ange…d’où le succès d’ailleurs des fameuses ballades de Silverchair, et de celles issues du métal en général. Voici la chose corrigée. Aurait-il mûri notre gaillard pour avoir envie de changer de registre à ce point? Car on est loin des ballades sirupeuses pour Radios FM ayant perdu la notion de risque.
Les mélodies, poutres qui soutiennent l’ensemble, pour la plupart assurées par Johns, sont à se pincer tellement elles sont ‘évidentes’ et entraînantes. Un côté pop très prononcé est sauvé par la forme de l’ensemble. Voici quelqu’un qui pourrait continuer à se faire des millions en banque à écrire pour d’autres des petites mines d’or, et qui met son talent au seul service de son ambition artistique. L’appel aux choeurs d’enfants (« the surreal for the kids » choir) sur quatre titres ajoute à l’aspect magique de l’album. Etincelant presque.
Mais ce qui caractérise peut-être le plus cet album c’est bien le mot bizarre en fait. La pochette, le graphisme, les photos, le site, les collages dans le livret, les paroles des chansons : rien n’est « normal ». La musique elle-même (écoutez « Paris circa 2007 slash 08 » et son piano crépusculaire ou sa flûte enchantée…), inclassable, est un fouillis incommensurable qui donne pourtant des résultats épatants : des mélodies que l’on susurre encore et encore, des titres que l’on écouterait bien en boucle, qui sentent bon la bonne humeur (« Lifting the veil from the braille ») et l’absence totale de prise de tête (ce qui est assez rare pour être noté). Et puis une richesse dans la production et les arrangements qui transpire le perfectionnisme du duo (« Horror with Eyeballs » louche vers le cirque ou la foire foraine). Manque plus qu’un orchestre. Peut-être pour la prochaine fois?
« Some foolish man dreamt that dreaming had no meaning »
Le site de The Dissociatives