Lorsque quatre musiciens décident d’inventer un monde féerique où seules les tables de la loi pop pure et délicate sont en vigueur, cela donne Brigadoon. Laissez-vous embarquer par cette gentille brigade.
Si Montréal est devenue une destination prisée pour les amateurs de sensations rock (Arcade Fire, Unicorns, le label Constellation entre autres…), les autres mégapoles canadiennes n’ont pas à rougir en matière de foisonnement artistique. La ville de Toronto d’une part, avec le folk renversant d’Hayden et le rock débridé de Broken social Scene, mais aussi, à l’Ouest, Vancouver où siège de fervents adeptes de la pop léchée tels que Carl Newman (New Pornographers), Frog Eyes ou encore le vaisseau Destroyer de Dan Bejar… Lors d’un entretien l’année dernière, Carl Newman nous confiait d’ailleurs écouter beaucoup de groupes locaux et que cela lui suffisait amplement. Nul doute que P :ANO rentre dans ces considérations.
Déjà auteur de deux albums à la saveur lo-fi (When it’s Dark and It’s Summer en 2002 et The Den en 2004), P :ANO est un quatuor de Vancouver qui s’articule principalement autour du couple Nick Krgovich et Larissa Loyva. Sur Brigadoon, récent pavé s’étendant sur plus de 24 plages CD, le prolifique Krgovich chante et signe toutes les compositions tandis que sa compagne donne de la voix sur un bon 2/3 de l’album. Malgré ce semblant de despotisme, P:ANO n’en demeure pas moins un groupe, et Brigadoon, titre inspiré d’une comédie musicale de Broadway, est un disque foisonnant où l’effort collectif prédomine. Véritable delirium pop ou une multitudes de panoramas pop sont explorés, du psychédélique en passant par la new wave, musique de fanfare, voire lo-fi, les P :ano ont tout rassemblé pour y élaborer le plan d’«un lieu féerique qui ne surgirait qu’une fois tous les 100 ans». Et voici donc la carte de ce lieu fantasmagorique.
Dès “Covered Wagons”, on se sent comme propulsé en pleine chute de studio de Smile, mythique train fantôme de Brian Wilson : mélodie féerique, vocalises fédératrices et trompettes élégantes. Mais P:ANO ne se contente pas d’un seul modèle pop et vampirise plusieurs styles dans ses petites vignettes ne dépassant rarement plus que 2 minutes 30. Ces changements d’humeur évoquent pêle-mêle Olivia Tremor Control, The Beach Boys, Yo La Tengo, Low, The Magnetic Fields ou The Microphones.
Souvent démarrant au piano, de mignonnes pop song comme “The Snow” ou “Pure Evil” (malgré son titre !) semblent dénuées de toute mauvaise onde. “Leave Me The Boy”, pourrait bien complexer Stuart Murdoch : même ton timide sur de formidables ébats de sentiments pop. Cette impression est encore troublante sur les guitares espagnoles de « T. Hatch Says Dance To The Beat of ‘Round Ev’ry Corner’” et le psychédélique “OC” où la voix de Nick Krgovich ne cesse de prendre de l’ampleur. Toujours dans le spirituel, “Light O’ Love” voit l’intrusion de choeurs gospel nous faire regretter que cela se termine au bout de trois minutes seulement. “The Rescuer” tranche par contre avec le reste, notamment par ses ambiances synthétiques à la Magnetic Fields.
Au chant principal sur la grande majorité de l’album, Larissa Loyva pourrait rappeler la flamboyance de sa compatriote Régine Chassagne d’Arcade Fire. Mais les liens ne s’arrêtent pas là : il y a entre ces deux formations une volonté commune de se surpasser proprement admirable. Et si P:ANO ne possède peut-être pas la même intensité que la nouvelle coqueluche de Montréal, ce groupe attachant, souvent émouvant, détient assez de charmes et de trouvailles dans ses valises.
-Le site d’Acuarella