Le pilier et la nouvelle bassiste de Luna s’offrent une parenthèse discographique avec un album classieux, mêlant compositions originales et reprises inspirées. Le résultat abouti à une friandise totalement délicieuse dont on se délecte sans retenue. Stone & Charden ont du mouron à se faire…


Un an après la parution du sixième album de Luna, le très beau Romantica (passé encore une fois honteusement inaperçu), Dean Wareham a rangé sa fidèle Les Paul au placard et s’offre quelques vacances sabbatiques à l’écart de sa Dream-team rock. Un écart tout d’abord cinématographique avec un rôle dans Piggie, film indépendant d’Alison Bagnall (co-scénariste de Buffalo 66), puis avec un album, l’Aventurra, enregistré en compagnie de sa séduisante complice, Britta Phillips.

Dean & Britta : le nom de cette réunion serait-il un pied de nez à Damon & Naomi, les ex-compères de Galaxy 500? Non, ce bon vieux Dean Wareham n’est pas aussi fourbe. L’éternel guitariste toujours vêtu de chemises à manches courtes n’a en revanche jamais caché sa fascination pour le crooner moustachu 60’s, Lee Hazlewood. L’Avventura est en fait un hommage appuyé à Nancy & Lee, duo immortel, créateurs de quelques standards tel que « Sand » et autres « These Boots are made for Walking ». Comme le dit si bien les initiateurs du projet : « L’avventura est une bande-son porte-bonheur, un album pour tomber amoureux, lié à des chansons sur le béguin, le désire, l’addiction, le regret et le bonheur. »

Les « duet albums » : ce terme était employé dans les sixties pour définir un couple de chanteurs glamours. Le genre consistait à enregistrer la majeur partie du temps un album réparti entre compositions originales et reprises plus ou moins célèbres, le tout augmenté d’un orchestre symphonique (se référer donc à Nancy & Lee, Gainsbourg/Birkin, les Carpenters, Sonny & Cher et bien d’autres…). Rod Stewart et quelques autres chanteurs à voix ont récupéré le concept en solo la décennie suivante, puis le style est passé de mode. Le vent tourne aujourd’hui et alors que l’on annonce la reformation imminente de Nancy & lee, Dean Wareham donne sa modeste contribution au revival.

La moitié de Luna s’est octroyé les services de l’inventeur du « Boogie Spectorien », Tony Visconti, illustre metteur en son du Electric Warrior de T-Rex ainsi que d’une bonne poignée de classiques du Bowie 70’s. L’équipe bénéficie d’un autre nom prestigieux derrière les futs : Matt Johnson, remarquable batteur de feu Jeff Buckley. La principale tache de Visconti sur cet album fut d’apporter une couleur orchestrale de l’ensemble et d’éloigner les affiliations avec le Velvet et autres Television que l’on reproche habituellement au groupe New Yorkais. Ce dont Visconti s’acquitte haut la main et prend même part en tant que musicien, desservant ça et là quelques partis de mellotron et guitares. Les habitués remarqueront donc la sobriété de l’instrumentation : L’électricité est rangée au placard, à la place quelques guitares sèches et de délicats arpèges font ici office d’accompagnement au même titre que le Scorchio String Quartet, quatuor à corde (présent sur le dernier Bowie) venu embellir l’ensemble. Avec un CV si alléchant, difficile de se planter me diriez-vous, d’autant plus que les compositions sont au rendez-vous.

Que faut-il rajouter de plus ? Et bien que l’intérêt de cet album est avant tout le choix des reprises. Avec Galaxy 500 ou Luna, Dean Wareham nous a toujours agréablement surpris par ses choix pertinents : Georges Harrison, The Doors, Beat Happening, Gainsbourg, Lee Hazlewood, Television, Harry Nilsson… L’Avventura ne fait exception à la rêgle : Madonna, Doors, Buffy St. Marie, Opal (futur Mazzy Star), Angel Corpus Christi, Silver Jews. Bien avant de poser le CD sur la platine, on sait qu’on ne sera pas déçu, et l’écoute le confirme.

Britta Phillips, nouvelle bassiste du groupe depuis le départ Justin Harwood fait donc office de muse vocale. Son implication reste plus sérieuse que celui de son modèle, puisqu’elle signe deux compositions personnelles et les chantent : « Out Walking » et « Your Baby », où rode étrangement l’ombre de Mazzy Star. Le groupe d’Hope Sandoval que l’on retrouve d’ailleurs sur l’album avec « Hear The Wind Blow » tiré d’Opal, première mouture qui deviendra par la suite Mazzy Star. L’initiateur du Space Rock avec les Galaxy 500 signe de son côté trois compositions dignes de son meilleur répertoire. En particulier « Night Nurse », ouverture parfaite en la matière qui annonce agréablement ce qui va suivre : cordes tourbillonnantes, chant à l’unisson du duo, arrangements subtiles et mélancolie digne. Le couple se partagent donc le chant à tour de rôle ou en duo, les deux grains se complétant agréablement.

Le choix porté sur « I derserve It » de Madonna (présent sur l’album Music), allégé des rythmiques saccadées de Mirways offre une seconde vie à la composition. Cette réappropriation rappelle par ses ambiances une autre cover de Luna, « Bonny & Clide » (le titre caché sur Penthouse). Du très bel ouvrage.

Honnêtement, arrivé à la quatrième plage du cd, l’ensemble est déjà de très haute tenue. Mais rien ne nous attend au choc de l’impérial « Moonshot ». Le genre de chanson qui bouffe un album par sa présence écrasante. De cette chanson obscure composée à l’origine par le chanteur folk Buffy St. Marie, on ne sait rien. Si ce n’est que Dean Wareham n’a jamais chanté aussi juste au-dessus de cette mélodie crève-coeur. A ce niveau d’excellence, la comparaison se tient avec le « Highwayman » de Jimmy Webb, autre cascade traumatisante de mélancolie qui se termine sur un tourbillon corde. On voudrait juste savoir si l’original est du même tonneau (me joindre par mail si concerné SVP), car si confirmation, je signe direct.

Malgré cette bourrasque, l’album se relève de par lui-même et le reste du contenu est loin d’être négligeable. « Threw it Away » chanson d’Angel Corpus Christi, chanteur basé à San Fransisco, n’aurait pas dépareillée sur Penthouse, meilleur album à ce jour de la planête rocailleuse New-Yorkaise. Britta Phillips envoûte ensuite de ses la la la sur « Knive From Bavaria », jolie bleuette composée spécialement par Dean Wareham.

« Random Rules », écrite par David Berman des Silver Jews est finalement la seule chanson où l’on reconnaît la patte de Dean Wareham, puisque ses guitares claires refont furtivement leur apparition. « Indian Summer » des Doors (pas celui des Beat Happening) clôt enfin le chapitre de toute beauté, transportant notre esprit vagabond sur une plage du mois d’Aout où le soleil ne tarderait pas à pointer le bout de son nez. La fin d’une belle aventure en somme.

Après Romantica, l’Avventura confirme que Dean Wareham semble plongé dans une période Fellinienne et les noms à consonance italienne. On ressort enchanté par cette rencontre passionné, bercé par une telle générosité de coeur. Du très grand art. Wareham dernier romantique assumé ?

-Le site officiel
Kester.co.uk (site non officiel mais bourré d’infos)