Sous les palmiers nonchalants de L.A., Isobel Campbell et Mark Lanegan s’offrent une virée musicale entre blues, country et pop sixties acidulée. Une charmante idylle pour bien démarrer l’année.
Ce qu’il y a de bien avec le hasard c’est qu’il autorise les rencontres les plus insolites et la magie qui va avec. Celle d’Isobel Campbell, ex Belle And Sebastian, et de Mark Lanegan, ex Screaming Trees, Queens of the Stone Age, eut lieu à Glasgow il y a quelques mois, à l’occasion d’un concert des hommes de Josh Homme. Faut-il croire que l’admiration mutuelle suffit à sceller les bases d’une entente artistique ? Sans doute, car ces deux-là ont tout pour se plaire, à commencer par un même esprit d’indépendance vis à vis de la meute, quelques albums solo à leur actif (6 pour Lanegan, 2 pour Campbell) et 2 voix aussi opposées que complémentaires.
Dans la lignée d’autres duos célèbres à fort contraste vocal (Lee Hazelwood/ Nancy Sinatra, Nick Cave/ Kylie Minogue, Howe Gelb/ Lisa Germano…) Ce disque célèbre la parité des sexes et nous sert une de ces joutes musicales et/ou histoires de couple platonique dont le rock raffole.
De part et d’autre de l’Atlantique, les deux musiciens ont d’abord composé en solitaire avant de mettre leur travail en commun dans un studio de Los Angeles. Inspirée par les American Recordings de Johnny Cash et la pop légère de Lee Hazlewood, Isobel Campbell a écrit des pop songs old-school. Ceci explique les tonalités un peu sépia et psychédéliques de l’album sur des trames souvent folk et country. Quant à Mark Lanegan, en vieux crooner grunge, il a apporté son feeling de cow-boy rugueux. Cela donne des choses tour à tour profondes et légères, mélancoliques et sucrées, vaguement surannées aussi et souvent intemporelles. Le duo se fait pudiquement la cour derrière le micro et insuffle, par la magie des voix, une élégance subtile à des compositions qui sonnent comme de vieux standards dépoussiérés. On pense souvent à OP8, à la fois pour le style « country déglinguée » matinée de cordes sensuelles et pour les influences (souvenez-vous de la reprise de « Sand »).
En l’espace de 12 titres, Ballad of the Broken Seas nous promène du blues séminal d’Hank Williams (une reprise magnifique de « Ramblin Man ») à la pop mutine des sixties (« Honey Child What I Can Do », « Do You Wanna Come Walk With Me ? ») en passant par les terres arides de l’alt-country (« Deus Ibi Est », « Black Mountain », « The False Husband »). Au gré d’embardées volontaires, on se laisse bercer par les rythmes suaves de « Saturday’s Gone », on tourbillonne sur la valse triste de « Revolver » et l’on s’épanche sur le titre éponyme de l’album. Confidences amoureuses, storytelling, chansons de marin, comptines… tout y passe même des clins d’oeil appuyés en direction de Tarantino et Suzanne Vega. Mais en dépit des apparences, ne cherchez pas de happy-end dans ce disque, vous seriez forcément déçus. La fin renvoie l’homme et la femme dos à dos, dans des directions opposées.
Enième variation sur le vague à l’âme, Ballad of the Broken Seas joue successivement la gravité solennelle, l’élégance amusée, le romantisme austère pour mieux illustrer l’éternel combat de l’homme face à lui-même. Superbe d’un bout à l’autre !
PS. Un autre album devrait suivre fin 2006, plus folk encore, intitulé pour l’instant « Milk White Sheets ».