Nouvelle orientation nettement plus rock pour la bande à Joe Pernice, dont la voix délicate et son art du songwriting ne sont toujours pas consommés. 37 minutes de bonheur intense contenu dans un album malheureusement indisponible en France, mais celui qui se penchera sur ce nouveau chef-d’oeuvre ne le regrettera pas. Foi de pinkushioner.
L’annonce d’un nouvel album de Joe Pernice (en solo, pseudo ou avec son groupe) est chaque fois un petit événement en soit chez les amateurs d’écriture pop ambitieuse, et dieu sait que nous sommes nombreux. Le moindre single est guetté scrupuleusement par une petite horde de fans (dont je fais partie), qui ne demandent qu’à s’abreuver des compositions fragiles de ce songwriter atypique dans le giron US. Lentement mais surement, Joe Pernice aquiert le statut d’artiste culte et ultra-respecté par ses paires.
Depuis Massachussets (1996) avec les Scud Moutain Boys et ensuite avec les Pernice Brothers (sans oublier les albums solos du maître), le mot « déception » a définitivement été banni du vocabulaire Pernicieux. Et pourtant, cette constance salutaire ne leur a pas encore ouvert les portes vers une audience plus large : le succès du groupe demeure marginal, Joe Pernice traînant à la longue cette fichue savate de « songwriter maudit », dont bien des artistes auront eu du mal à se dépêtrer. On se demande bien d’ailleurs ce qui peut repousser un succès non pas massif mais disons plus digne à ce groupe qui le mérite largement. La situation est telle que ce nouvel album ne trouve pas de distribution en France. Une honte.
Pour trouver des réponses à cet insuccès notoire, peut-être serait-on tenté de dire que malgré la richesse mélodique des compositions, la musique des Pernice Brothers demande un peu plus d’attention que d’autres pour être assimilée, tout comme ce fut le cas pour beaucoup d’entre nous avec les Smiths ou les Pixies. Qui a accroché dès la première écoute à la voix de Morrissey? Franchement, je n’en connais pas autour de moi, les Smiths ça se mérite. Et bien c’est pareil pour les Pernice Brothers. Ce n’est pas parce c’est de la pop musique que l’on peut forcément se reposer sur ses lauriers! D’ailleurs, plusieurs liens seront noués tout au long de cette chronique entre les Pernice Brothers et « LE » groupe pop anglais des années 80.
MOI, LES PERNICE ET NOUS
Ça m’embête d’user de superlatifs à longueur de paragraphes pour cette chronique, mais cet album ne m’inspire que ça. Il y a deux ans, The World Won’t end était parvenu à renouveler le niveau d’exigence entamé déjà sur Overcome By Happiness (1998), un des rares albums à égaler le Either/Or d’Elliott Smith. C’est vous dire si la barre est placée haut! On retrouvait donc cette écriture pop sophistiquée et accompagnée d’un orchestre à corde qui évoquait à la fois les ancêtres Left Banke pour le soucis des arrangements, mais aussi Big Star et un Costello de première bourre pour la qualité d’écriture. Après ces deux albums sublimes, on se demandait bien si les frères pernicieux allaient continuer dans cette voix orchestrale ou bien entamer quelques changements. Nous en venons donc à ce nouvel album.
Produit par la même équipe qu’auparavant, le producteur et bassiste du groupe Tom Monahan ainsi que Joe Pernice, Yours mine & ours est un album délibérément plus rock que ses deux prédécesseurs. Les cordes ont été bannies du studio, et ce sont cette fois les guitares qui ont pris le pas. N’allez pas croire non plus que l’on a affaire à du « rock garage ». La tendance musicale actuelle veut que dès que l’on prononce les mots « rock » et « guitare », on s’adresse directement à cette nouvelle génération de groupes aux noms qui commencent en THE… Et bien non! On a peut-être tendance à l’oublier, mais il existe d’autres formes de bonne musique « rock » et cet album le prouve avec éclat. Voilà un album à guitare au sens noble du terme comme jadis les Smiths savaient en faire (vous voyez, j’y reviens!).
Les Smiths, dont l’influence sur ce groupe semble n’avoir jamais été aussi présente que sur ce disque. Joe Pernice n’a d’ailleurs jamais caché sa passion pour les quatre de Manchester dont il vient d’écrire un petit ouvrage (*) où il se penche sur le mythique Meat is Murder de qui vous savez! Les amateurs d’arpèges inspirés et mélodies qui nous mettent la larme à l’oeil sont donc prévenus.
On sent que le guitariste Peyton Pinkerton a eu carte blanche cette fois-ci pour explorer les possibilités de sa six-cordes et s’y attèle avec rigueur. Les arpèges cristallins se taillent la part du lion dans la grande tradition du néo-romantisme 80’s. Quelques ambiances synthétiques viennent de temps en temps donner du relief à une trame, mais restent dans l’ensemble assez discrètes.
Etrangement, ce retour à un format plus dur apporte au groupe une chaleur qui lui faisait un peu défaut sur l’album précédent. D’autres influences se font alors entendre que l’on n’aurait pas soupçonné venant d’eux : « Waiting for the Universe » n’aurait pas dépareillé sur Steve Mc Queen de Prefab Sprout. Plus surprenant, l’intro de « Sometimes I remember » louche sérieusement sur du Cure!
« The Weakest Shade of Blue » est une entrée en la matière des plus respectables : couplet un brin énervé (à remettre tout de même dans le contexte de la musique des Pernice) et refrain magique nous conforte sur le retour en bonne forme du groupe. Plus loin, « One Foot in the Grave » est certainement un des morceaux les plus efficaces jamais écrit par Joe Pernice. « and the radio still plays with one foot in the grave » chante inlassablement Joe Pernice à la fin du morceau et résonne comme un évident rêglement de compte avec ce succès auquel il court toujours.
Trop sous-estimé sur ce plan là également, L’homme est pourtant un parolier de la trempe de Michael Stipe. Lui aussi possèdent le don d’utiliser de simples mots et quelques phrase incompréhensibles, mais la façon dont il les chantent sonnent toujours justes. Très imagées, ses paroles ont le don de nous emporter vers les nuages et de nous apporter du baume au coeur (même si parfois très tristes).
Enfin, L’intérêt des disques des Pernice Brothers repose sur la voix magnifique de Joe Pernice. Assez proche d’un Colin Blunstone, elle nous envoûte et nous caresse, et semble se bonifier au fil des disques. Lorsqu’en plus elle est augmentée ici par celle d’April March (protégé de Bertrand Burgalat) qui a posé ça et là quelques choeurs inspirés, on ne peux que s’incliner devant une telle Dream team.
Sincèrement, il y a très peu de choses à jeter sur cet album. Je pourrais continuer à parler des autres titres, mais je préfère vous laisser découvrir par vous-même ce trésor de pop mélancolique. J’ajouterais enfin : quel plaisir d’écouter de temps en temps un bon album à guitares qui nous caresse dans le sens du poil sans forcément nous esquinter les oreilles. Rien que pour cela on remerciera Joe Pernice d’avoir redonné un peu de noblesse à cet instrument un peu trop noyé dans la distorsion ces temps-ci, pour un oui ou pour un non.
C’est si rare de trouver de nos jours un artiste pop possédant un vocabulaire musical particulier dans un environnement ou le formatage est de rigueur (même dans la musique indé). Ne gachons donc pas ce plaisir et cette sublime exception culturelle.
(*) chez l’éditeur américain « Thirty Three and a Third » (comparable à Librio chez nous)
– Le site officiel des Pernice Brothers
– Le site de One Little Indian qui distribue l’album en Angleterre