Dans la débine sentimentale, l’auteur compositeur et interprète Ryan Adams dégaine un sacré bon disque.
Il y a 17 ans Ryan Adams se lançait en solo. L’échappée fut belle. Heartbreaker soldait son passé dans l’alternative country, ses convaincants Whiskeytown (trois albums et quelques EPs) n’étaient plus. Ce premier opus de folk country et de rock exaltait la liberté et exposait d’emblée son appétence à voler de ses propres ailes. Son arrière-boutique pleine à craquer de démos et d’ébauches de chansons, il lui fallait coûte que coûte cette autonomie. Habité et varié Heartbreaker est depuis un marqueur incontournable dans sa discographie – aujourd’hui plantureuse. Né à Jacksonville (Caroline du Nord) en 1974 il a depuis largement fait ses preuves. Libéré et euphorique il s’est frotté avec plus ou moins de bonheur à différents univers. Accroc au punk et au métal, il s’est énervé sur son album Orion, il s’est enlisé dans le rock FM (III /IV), il a magnifié le folk et le rock américain d’obédience classique, … Borderline, il fricote par moment avec la jet set. Sa discographie en pâtit logiquement ; ouvert sur autrui, il a également multiplié les collaborations – Norah Jones, Counting Crows, Cowboy Junkies. En ce moment même, il remet en selle Liz Phair pour un futur double album ; chanteuse engagée qui avait impressionné son monde au début des années 90 avec le cru Exile In Guyville. Aveuglé, ou sous le charme, il reprend aussi en 2015 l’intégralité de l’album 1989, (pas la totale quand même) de la pop star planétaire Taylor Swift. Sans y voir de cause à effet, il est aussi pris dans la nasse médiatico- sentimentale d’un divorce après six années d’un mariage avec Mandy Moore. Dans une « période de merde » dixit Adams, il se projette alors dans l’enregistrement de son 16ème album.
Prisoner est son échappatoire mais avant tout un réservoir de chansons convaincantes. Enregistré dans la foulée de sa dernière tournée, l’ex Whiskeytown s’est échappé de sa base ensoleillée californienne et de son studio Pax Am de Los Angeles. Il s’est envolé vers New York City pour y retrouver son quartier d’enfance du Greenwich Village et y louer un temps le mythique Electric Lady Studio (studio construit par Hendrix quelques semaines avant sa mort où depuis de nombreuses pointures ont pu y tester l’acoustique : Rolling Stones, Lennon Bowie, …). Son ami musicien et batteur Johnny T l’a rejoint, ensemble ils ont répété tard le soir et en petit comité. Ce disque est né de la rencontre de de cette osmose, improvisant dans un studio chargé de son passé glorieux. Auto produit, enregistré à l’ancienne Adams privilégie avant tout l’émotion.
« Doomsday » est le 1er titre écrit- en plein dans les embrouilles de son divorce – forcément un titre rétrospectivement spécial. L’heure de la rédemption ? Un pardon à exprimer ? Soutenu par son harmonica, Adams se jette néanmoins à l’eau. Ce titre semi acoustique est irradié de son chant clair et poignant. – « My love, we can do better than this » … On le comprend ce 16ème album est un disque sur la rupture, mais plus important, il ne sera pas pompeux ni sirupeux. L’ouverture et premier simple extrait « Do You Still Love me ? » fût enregistré avec son groupe de tournée The Shining. Ce sera le seul titre à connaître et bénéficier de cette mise en commun des compétences ; à l’arrivée l’expérience s’avéra inconfortable pour Adams. Trop de monde, trop d’avis, trop déstabilisant. Le morceau très teinté rock eighties lorgne vers les groupes de rock mélodiques des années 80. D’une voix légèrement éraillée, Adams compte les jours et s’interroge donc – Do you still love me, babe ? Les guitares rayonnent. Diablement efficace, cette balade ne sombre jamais. Sur la mélancolique chanson-titre de l’album, « Prisoner », Adams ressasse son état : « I know our love is wrong, I am a criminal » cette belle séquence désenchantée s’éteint sur un fond d’harmonica plaintif et d’un chœur lointain et angélique. « Haunted House » est quant à lui une ode à la vie qui passe, aux souvenirs – douloureux – car révolus.
Impliqué à tous les niveaux, enregistré et capté dans les conditions du direct, sa guitare en bandoulière, Ryan Adams retrouve le chemin de ses illustres ainés Dylan ou Springsteen. C’est avant tout l’émotion qui l’emporte et qui embrasse finalement ce disque. De la candeur et de l’innocence s’y dévoilent aussi. Son attrait pour le métal et le punk rock – ici invisible – n’ont pas disparues, Adams a toujours besoin de ressentir les vibrations électriques de sa guitare, objet de son adolescence. Sa future tournée s’annonce punchy. Prisoner est un disque ardent rempli d’amour, de désir et de romantisme. Les joies un peu, et les maux beaucoup, y sont surlignés. L’intitulé de nombreux morceaux est éloquent (la corde raide, le train en partance, la rupture, prisonnier, …)
A mi-parcours l’agitation et la qualité ne faiblissent pas. Le très folk ‘To Be Without You’ – où il rejoint un temps son compatriote, le folker Ryley Walker – s’enchaine au fragile « Shiver And Shake ». Les liens se resserrent sur « Anything I Say To You Now » – chanson tout juste magnifique. Émotions et sentiments se confondent alors.
’Anything I say to you now is just a lie / Anything I say to you now but goodbye’
Sa suite -‘Breakdown’ – ne rompt pas les liens. « Outbound Train » voyage lui sur les traces du boss du New Jersey, les paysages défilent, les mots et les images restent gravés. Ensuite le nu et émouvant « Tightrope » exerce un fort pouvoir d’attraction. Un saxophone solaire et quelques touches de piano magique le magnifient sur sa fin. « We Disappear » acte la fin de l’histoire. Peut-être son texte le plus explicite, en tout cas une chanson de rupture chantée avec des mots d’adultes. Sous les derniers arpèges de guitares réverbérés on y discerne quelques rires. Tout est mieux ainsi.
Pax Am/Blue Note/Capitol – 2017
Tracklist :
- Do You Still Love Me?
- Prisoner
- Doomsday
- Haunted House
- Shiver and Shake
- To Be Without You
- Anything I Say To You Now
- Breakdown
- Outbound Train
- Broken Anyway
- Tightrope
- We Disappear