Après la splendeur de leur We fight till death, les déterminés Windsor for the derby reviennent avec un opus bruitiste et inégal.
Windsor for the derby est un groupe à part. Au delà de ce nom qui sonne comme un collage dada, WFTD a cette particularité d’avoir eu, pendant plusieurs années, une existence éclatée, en suspens, tiraillée entre deux points géographiques que plusieurs centaines de kilomètres séparaient. Dan Matz et son acolyte Jason Mc Neely – le noyau dur du groupe – habitent respectivement à New York et à Austin, ce qui à première vue ne favorise ni la proximité ni la complicité musicale. Ce qui peut apparaître comme un handicap majeur a paradoxalement fait la force de WFTD, qui a su trouver un réel terrain d’entente, via leurs compositions recherchées. Dan Matz confie en effet que cet éloignement agit comme une réelle émulation artistique : rencontre improbable d’aspirations diverses, parfois antagonistes, qui savent fusionner le temps d’albums comme We fight till death ou Emotional rescue LP. Albums qui frisent la perfection : une musique magnifiée par le silence qui grignote chaque composition : silence qui s’imisce dans une voix traînante. Chaque note est pesée, calculée, interrogée. Le résultat est d’une grande richesse mélodique, quasi atmosphérique, portée par les guitares tordues de Dan Matz. Alternance judicieuse de ballades folk et de compositions pop-rock façonnées à coups d’arpèges cristallins et de batterie sautillante (« Emotional rescue », « Awkwardness », « The fall of a fallen tree »). A la croisée des chemins des musiques actuelles, WFTD apparaît comme un collectif de têtes-chercheuses, guidé par le duo Matz/ Mc Neely, inventif et singulier.
Evidemment, depuis ce coup de maître, chaque production de WFTD éveille l’intérêt. Et c’est avec une légère fébrilité que l’on découvre Give up the ghost. Fini l’éloignement géographique, Dan Matz et Jason Mc Nelly ont emménagé pour l’occasion à Philadelphie. Et on est en droit de s’interroger sur le résultat de cette soudaine proximité, furieusement banale. Inquiétude justifiée, car si WFTD clame qu’il veut « abandonner (ses) fantôme(s) », il y a fort à parier qu’il ait laissé avec sa formation fantomatique une part de son génie insaisissable.
A vrai dire, ‘give up the ghost’ est une expression imagée pour ‘mourir’, qui n’augure rien de positif pour le renouveau de ce groupe. A moins que WFTD soit une sorte de Phoenix, capable de repousser sans cesse ses propres possibilités.
Dès l’introduction – les 1 minute 11 secondes de « Dirge for a pack of lies » – le décor est planté : l’album commence comme une chanson qui se termine, avec cet accordéon agonisant et cette rythmique bancale. Mais on ne s’arrête pas à cette contradiction près. « Empathy for people unknown » reprend l’accordéon, y ajoute un orgue dissonant et une batterie binaire. La voix de Matz semble plus lointaine que d’habitude, alors qu’il évoque « nothing matters as much… » Toujours le même principe de composition, répétition de strates instrumentales et vocales, avec ses ‘palala-papapa-pa’ vaguement angoissants. Jusque là, une production assez fidèle aux disques précédents, quoique teintée d’une noirceur plus palpable. Mais dès le troisième titre, Dan Matz and co nous font la surprise d’un son radicalement différent, très proche d’un My bloody Valentine période Isn’t anything. Mêmes tics musicaux : nappes de guitares saturées, syncopes rythmiques et voix embrumée. On se croirait, l’espace d’un instant, replongés dans le fastueux répertoire de la noisy-pop de la fin des années 80. Seule l’irruption de scintillements électroniques nous tirent de notre rêverie nostalgique. Nombreux clins d’oeil, au cours de cet album ponctué d’emprunts divers. Ainsi, « Shadows » rappelle Joy Division, dans ses moments posés : guitares hypnotiques qui flirtent avec la dissonance, tandis que « Gathering » s’approprie la même tension sourde qui a fait la réputation du mythique groupe mancunien. Un revirement nettement plus électrique – parfois brutiste – qui tranche avec leurs précédentes productions aux accents folk. Toutefois, on retrouve la langueur du Emotional rescue LP sur « The front » avec ses arpèges mineurs matinés de bruitages, sur le lancinant « Giving up » ou sur « The light is on », qui joue la continuité avec le précédent We fight till death.
WFTD joue les oppositions et nous destabilise définitivement : le contraste est grand en effet entre les guitares saturées de « Prais » et la sèche simplicité de « Every word you ever said » qui clôt Give up the ghost. On déplore dans cet album un peu frileux le manque d’unité, et la propension à une nostalgie moribonde. A force de minimalisme, Windsor For The Derby perd un peu de sa magie. Magie des mélodies, des arrangements et des combinaisons instrumentales : petits miracles qui adviennent un peu trop rarement sur Give up the ghost.
-Le site du groupe