Je rentre dans une grande pièce, Joan joue de la guitare dans un fauteuil. Elle se lève tout de suite, sourire aux lèvres, range son instrument pendant que je me familiarise avec le matériel Hi-Fi sur place pour lui faire écouter son disque. Cette habituée de l’ombre a décidé de s’exposer en solo pour un album qui tourne en boucle…

Tout de suite, sa voix très haute et forte me met à l’aise. Son sourire et son charme feront le reste.


Pinkushion : A l’origine, je voulais faire un blind test, mais j’ai trouvé que commenter l’album morceau par morceau serait plus intéressant.

– Qu’est-ce qu’un blind test ?

Un blind test ce sont par exemple 10 titres proposés que tu dois reconnaître et commenter. J’aurais probablement mis Antony & the Jonhsons, etc…

– Je suis contente que tu aies décidé de laisser tomber. Je déteste ça. C’est horrible ! Ne me fais jamais ça ! Please ! (rires)

1 « Real Life »

– Oh mon dieu ! Tu veux que te parle de cette chanson maintenant ? Oh mon dieu ! Je n’aime pas parler de ce à quoi une chanson se rapporte mais je vais te dire de quoi celle-ci parle (…). C’est à propos de Rally boy que j’ai rencontré une fois pendant deux minutes (rires) à New York. J’ai compris dans ce petit laps de temps que ce serait mon futur mari. Je lui ai écrit cette chanson et la lui ai envoyée. Il m’a dit (imite une voix grave) : c’est une chouette chanson !(rires) Il a ajouté : au moins tu en as retiré une belle chanson ! J’étais là : Ok , super (rires). Ça doit sembler fou tout ça. Mais enfin, c’est – du moins je crois – une belle chanson.

Pour tout te dire, cette première chanson fait penser au dernier disque de Cat Power, qu’elle a enregistré à …

– Memphis. Oui, j’en ai entendu parler. Il est bon ?

Il tente d’avoir cette même soul vibe, comme le tien, mais en moins réussi.

– Merci

Quelque chose manque en fait. C’est toi qui joue du piano sur tous les morceaux ?

– Oh oui.

Même le solo de piano sur…

– Non, c’est mon producteur qui a fait ça ! Ce solo est extraordinaire !

Je croyais que c’était peut-être Antony vu que c’est le titre sur lequel il chante.

– Il joue très bien du piano aussi, mais ce n’est pas lui. Mais toute le reste c’est moi ! (rires)

2 « Eternal Flame »

– Alors, sur cette chanson, tu entends cette grosse voix ?

Oui, elle est extraordinaire.

– Tu sais qui c’est ? Joseph Arthur ! C’est extraordinaire n’est-ce pas ? Il est incroyable ! C’est un des plus grands chanteurs que je connaisse. Il sait tout faire ! Il peut chanter haut, très haut, mais aussi très bas, comme ici. Car ici, il fait aussi tous les « hou hou » aigus que l’on entend en background, en plus de cette voix de baryton. On a beaucoup tourné ensemble. Je jouais en solo d’abord, et puis je l’accompagnais en duo. Il jouait de la guitare avec sa pédale d’effet pendant que je créais tout un décor avec mon violon. On est donc devenus très proches. Tous les deux dans la camionnette pendant de longs mois… Il est fantastique. Il peut chanter plus bas que n’importe qui, à part Paul Rotten.

3 « Feed the light »

– Cette chanson-ci, c’est Joseph et moi tout seuls. Nous jouons tous les instruments à nous deux. Il joue de la batterie notamment. Moi je suis à la guitare et à la basse. On l’a joué live puis on a ajouté d’autres instruments. Mon chant, par exemple, est live. On a ajouté ensuite la basse, les cordes. C’est un morceau très organique. Le groupe (Rainy & Dan) qui m’accompagne habituellement n’est pas sur ce morceau. Si tu écoutes les paroles, c’est assez clair. C’est à propos …(long silence). Tu saisis l’idée non ? J’aurais aimé avoir les paroles sur moi pour t’expliquer vraiment. Va sur mon site !

J’aime savoir l’état d’esprit dans lequel un artiste écrit les paroles d’une chanson.

– J’ai écrit cette chanson sur la route ! C’est pas compliqué : je suis toujours sur la route (rires). On traversait une période difficile avec mon ami. J’essayais de le pousser en avant. Afin qu’il prenne les bonnes décisions, tout seul.

4 « The ride »

Est-ce que tu écoutes beaucoup de musique soul ?

– J’adore la musique soul ! Le R & B et tout ça.

Comme qui ?

– Oh, de tout ! Danny Hathaway, Curtis Mayfield, Sly & The Family Stone, Al Green… Ce sont les étapes de ma vie en fait. Le chant harmonieux aussi j’aime bien. A côté de ça, j’aime aussi Mary J Blige, Anita Baker – elle est sensationnelle – Aretha Franklin – c’est la plus incroyable de tous les temps.

Ici, ta voix m’évoque Diana Krall.

– Cool, elle a une très jolie voix. Merci. Je ne connais pas très bien ce qu’elle fait ceci dit. Je me souviens l’avoir vue une fois dans ce programme, « Live on 54th street ». Elle y jouait live et j’avais trouvé sa voix exceptionnelle. Merci, je prends ça comme un sacré compliment.

5 « I Defy »

– Toutes ces petites intro, c’est moi et Edvind Kang qui jouons au violon. Il a joué 40 minutes en tout, et j’ai coupé ensuite pour le mettre en intro de presque tous les titres.

Antony est là, mais sa voix ne prend pas le dessus sur la tienne, c’est le contraire même.

– Oui, il est vraiment là en support. Antony et moi sommes de très proches amis. C’est un musicien très censé, il sait quoi faire. Cette chanson a commencé de la façon suivante : je jouais du piano dans l’appart d’Antony, et m’amusais à chanter ce que je lui disais. Je lui parlais en chantant quoi. La chanson s’est faite en une heure je crois. C’est un très bon souvenir.

En étant proche d’Antony, as-tu rencontré Cocorosie ?

– Oui, je les ai rencontrées.

Tu n’as pas voulu travailler avec elles ?

– (ndlr : Fait la grimace) Je ne suis pas du tout impressionnée par ce qu’elles font pour être franche. Elles adorent Antony. Je les ai rencontrées mais elles ne sont pas très sympa. Je l’ai déjà dit à Antony (grimace) : s’il te plaît ! (rires)

J’ai découvert Antony en première partie de Cocorosie. Il était seul.

– Oui, normalement je tournais avec lui mais j’ai dû arrêter car j’étais trop occupée. C’est là que j’ai commencé à tourner avec Rufus Wainwright, en 2004. Mais tout le disque I am a bird now c’était lui, donc… Je l’ai vu décoller : c’était super ! Ce fût incroyable d’assister à son ascension. Sur les couvertures de tant de magazines ! « Mon dieu, mais les gens l’adorent » me suis-je dit (rires). J’en suis ravie et je trouve ça normal mais je dois reconnaître que j’étais tout de même étonnée.

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6 « Flushed Chest »

Toutes les intro sont donc avec Eyvind Kang. Peux-tu me parler de lui ?

– Oui, c’est un personnage incroyable. Une personnalité incroyable.

Il ne t’a pas présenté Mike Patton (avec qui il a sorti Virginal Co-Orinates)

– Non, désolée (rires)

Je t’en parle car sur son dernier projet, Peeping Tom, il fait chanter Norah Jones avec lui.

– (Grand rires) Je ne suis pas du tout la carrière de Mike Patton, et encore moins celle de Norah Jones.

Il lui fait chanter des paroles un peu osées, sur une chanson dont le titre est « Sucker ».

– Elle en a besoin ! (rires) (ndlr : elle écoute le titre) Je ne veux pas trop rentrer dans le détail de cette chanson, mais… (silence)

Peut-être les cuivres ? Encore une fois, ils ne prennent pas le dessus, ils ne sont pas démonstratifs.

– Celui qui a fait ces arrangements c’est Doug Weiseman de New York. Il joue de la clarinette, du saxo, de la guitare même. Il arrive à faire de superbes arrangements, jamais démonstratifs comme tu dis si bien. Sur ce titre, c’est surtout lui jouant de la clarinette, avec Steven Bernstein qui joue la trompette.

7 « Christobel » & 8 « Save me »

– Les deux prochaines chansons traitent de l’amour obsessionnel. Ou plutôt de la luxure obsessionnelle ! C’est vrai, on ne peut pas vraiment devenir obsédé avec l’amour. C’est Joseph qui chante ici. Celle-ci c’est sur le fait d’avoir quelqu’un fou de toi, et toi qui n’as qu’une envie : lui dire que sa vie, il doit la gérer tout seul. Ce sont des titres timbrés avec « Save me », qui se placent dans la perspective inverse, celle de l’obsédé plutôt que celle de l’objet du désir. C’est sur le pouvoir qu’on peut avoir sur quelqu’un. Ce n’est pas très sain. Mais c’est réel. Il y a ici un solo de violon qui est toujours un plaisir à jouer. Tout le monde parle toujours des soli de guitare ! Mais avec un violon (yeux au ciel – rires). Une guitare, ce n’est pas aussi fort, je trouve, que le violon.

Tu travailles beaucoup ta voix ?

– Je n’ai commencé à chanter que très récemment en fait. Je faisais parfois des backup sur quelques disques d’autres artistes, ou sur live. Je faisais aussi pas mal de backup – des cris plutôt (rires) – dans ce groupe Black Beetle avec micke (Michael Tighe) ; on a appris comment chanter, etc. C’était très expérimental. On a énormément appris ensemble. Je n’ai donc commencé à chanter que vers 98 – en même temps que j’ai appris la guitare et le piano en fait, histoire de pouvoir m’accompagner. Chose absolument impossible avec un violon, d’ailleurs. Le violon, c’est ta voix, quelque part. Si tu n’es pas habitué à chanter, c’est un sentiment très étrange. Ça prend du temps de s’habituer à sa voix, à chanter vraiment. Je suis enfin à l’aise avec ça, mais c’est très récent. Je n’avais auparavant aucune raison de chanter car je jouais du violon, sorte d’expansion de soi. Mais je crois sincèrement que c’est venu au bon moment en fait. Par exemple, ce n’est que depuis que je chante que j’écoute vraiment les paroles des chansons. Avant, je n’écoutais que la musique. La batterie notamment. Puis, quand j’ai commencé à écrire et à chanter, j’ai découvert un autre monde. Waouh, George Harrison ! (rires) Il a fallu que j’aie enfin quelque chose à dire pour que je me mette à chanter. C’est mon bassiste qui chante « save me » en murmurant comme ça. C’est bien hein ?

Il y a un côté très sensuel sur ce disque. Ce n’était pas exprès je présume ? (rires)

– Oui, j’espère que ça sonne naturel.

9 « Anyone »

Ta voix, en plus des paroles, on sent que…

– C’est pour de vrai. The real place. C’est clair. Je voulais faire une ballade, une chanson très classique. Heureusement, il y avait quelqu’un à qui penser pour que cette chanson existe. J’adore jouer cette chanson en concert, car j’adore une voix féminine avec un backup masculin. Tu connais Charlie Burnham ? C’est un violoniste. Il a joué pour Antony il y a quelques années. Il chante aussi. Lui et Ben chantent derrière moi, c’est extra.

Encore une fois, on pense à Diana Krall.

– Merci. Tu me recommandes quoi d’elle ?

Je ne connais pas très bien à vrai dire. Je n’ai que deux disques d’elle. Les deux sont bons.

– J’ai rencontré récemment Elvis Costello, son mari. Je l’adore. (ndlr : elle s’arrête de parler pour écouter le solo de batterie) Good work ! (rires) J’étais assez inquiète avant de le rencontrer car toute le monde me disait que c’était un vrai c**. Pas du tout ! Il était adorable ! Les gens qui viennent après mes shows me parler évoquent souvent cette chanson. Ça me fait plaisir.

10 « We don’t own it »

Cette chanson a à voir avec Elliot Smith. J’ai tourné avec lui. Il ouvrait pour nous. C’était avant son succès pour la bande sonore de ,. Il jouait avant nous, qui jouions avant Sebadoh. Il jouait en solo, avec sa guitare, tous les soirs : c’était extraordinaire. Avec beaucoup d’âme en fait. C’est triste ce qui est arrivé bien que cela ne m’ait pas totalement surprise . Quand quelqu’un comme Elliott Smith meurt si jeune, c’est très troublant pour tout le monde. Ce n’est pas naturel (quoi que ce mot « naturel » veuille bien vouloir dire) (rires). La mort est si troublante. C’était triste. Cette chanson traite du fait que nous ne possédons pas notre vie. Personne ne sait ce qui arrivera. C’est ce qui donne des raisons de faire de la vie quelque chose qui en vaille la peine. Chaque jour. (silence)

Ton disque est très réussi. Je l’aime beaucoup.

– Je le vois, merci. Je vois que tu l’as compris, saisi. Surtout ceux qui ont déjà écouté de la musique plus ancienne en fait. Tous ces trucs avec des arrangements. Ce fut un réel plaisir de te rencontrer. Ça change des questions-réponses habituelles ! (rires)

– Lire la chronique de Real Life