L’ex tête pensante de Felt continue de nous intriguer avec sa pop subversive.
Mais qui est donc véritablement Lawrence Hayward ? Ce type étrange que l’on a toujours connu coiffé d’un couvre-chef serait-il une sorte de Dr Jekyll et Mr Hyde de la pop indé ? Une personnalité double qui pendant une décennie est parvenue, avec un évident talent d’illusionniste, à cacher à tout le monde sa véritable nature sans éveiller jamais un seul soupçon ? Ou bien a-t-on affaire à quelqu’un capable de réduire à néant sur un coup de tête son ancien personnage d’idole indie souffreteuse pour créer un autre olibrius à guitare totalement méconnaissable afin de se refaire une santé artistique ?
Parce que vous l’aurez bien compris, depuis la fin de Felt, Lawrence ne fait plus, mais alors plus du tout du Felt. Après l’arrêt brutal de son premier groupe en 1989, il aurait été logique d’attendre de sa part qu’il essaye de tirer les marrons du feu et de réparer certaines injustices (comprenez son projet inachevé de devenir un jour une star ultra-célèbre) en maquillant sa musique pour la rendre plus estimable aux oreilles de ceux qui n’y avaient pas encore adhéré. Mais non.
Lawrence a fait le choix de définitivement dynamiter son groupe, d’en faire des confettis, et de les disperser « façon puzzle », pour ne plus jamais avoir à revenir là-dessus. Car du brouzouf, celui que le magazine Loud & Quiet a dernièrement baptisé « le Picasso de la pop », aurait pu en faire maintenant que Felt est devenu par la force des choses un groupe culte.
Bon, d’accord, pas beaucoup on vous l’accorde, mais tout de même de quoi lui permettre de pouvoir boucler confortablement les fins du mois. À contrario de tous ces groupes qui se sont reformés ces dernières années – la plupart davantage par opportunité que pour l’amour de l’art (on ne citera pas de noms…) – Lawrence lui, n’a jamais voulu réveiller la belle endormie pour se remplir les poches.
Pourtant, ceux qui ont pu voir le film Lawrence of Belgravia sorti en 2011 n’ont pas eu de mal à constater que la santé physique et financière de notre bonhomme ne devait pas être au plus haut. Mais c’est ainsi que la chose a été actée depuis longtemps. Felt c’était 10 albums et 10 singles en 10 ans et basta. L’œuvre (extraordinaire s’il en est, et dont les cinq premiers albums sortis entre 1982 et 1986 viennent de faire l’objet d’une réédition) possède cette aura immaculée qu’il eut été trivial de pervertir avec de vaines tentatives de reformations à la petite semaine.
Avec Denim, mais surtout avec Go-Kart Mozart, Lawrence a donc décidé un beau jour de se lancer dans « la pop commerciale ». Mais vous pensez bien qu’il s’agit-là ni plus ni moins que d’une vaste blague. Car même s’il voulait s’en donner les moyens, il ne bernerait personne bien longtemps. Oui, pour être pop, ce Mozart’s Mini Mart est l’est bel et bien. Mais pour le côté commercial, on repassera. À l’écoute du titre « Zelda’s in the Spotlight », on se rend vite compte que notre ami n’a décidément pas le sens des affaires. Ce n’est certainement pas avec un morceau tarabiscoté comme «Relative Poverty», qu’il deviendra la rock-star qu’il a toujours rêvé d’être. Cette sorte de glam-rock fauché qu’il produit avec Go-Kart Mozart est à l’image de la pochette : criarde, tape à l’œil et outrancière.
Et avant de s’apercevoir que ce Lawrence a tout de même un sacré talent pour écrire des chansons qui tiennent toutes seules sur leurs deux jambes – même si celles-ci manquent de perdre l’équilibre à tout moment), il faut d’abord se débarrasser du sentiment d’effroi qu’elles inspirent.
On imagine que ce disque pourrait être le pendant cheap d’un Pulp sous ecstasy. Ou encore le petit frère en plastique du In Outer Space de Sparks. Une oeuvre légèrement suicidaire, nullement calibrée pour charts, qui s’adresse avant tout à ceux qui n’ont pas froid aux oreilles.
La reconnaissance, Lawrence se sera décidément essoufflé toute sa vie à lui courir derrière. Malgré tout, il continue toujours aujourd’hui sa course de fond, imaginant qu’un jour le monde ne lui fera plus l’affront de la lui refuser. On peut toujours rêver…
Cherry Red Records – 2018
TRACKLISTING:
1. ANAGRAM OF WE SOLD APE
2. WHEN YOU’RE DEPRESSED
3. RELATIVE POVERTY
4. ZELDA’S IN THE SPOTLIGHT
5. BIG SHIP
6. NUB-END IN A COKE CAN
7. A BLACK HOOD ON HIS HEAD
8. FACING THE SCORN OF TOMORROW’S
GENERATION
9. A NEW WORLD
10. I’M DOPE
11. CROKADILE ROKSTARZ
12. KNICKERS ON THE LINE BY 3 CHORD FRAUD
13. CHROMIUM-PLATED WE’RE SO ELATED
14. MAN OF TWO SIDES
15. FAREWELL TO TARZAN HARVEY
16. A DING DING DING DONG!!
17. ANAGRAM 1ST PRIZE REPRIZ