« Je n’ai jamais pris beaucoup de LSD. Mes héros 60’s ont tout pris pour moi. » C’est sur ces paroles emplies de sagesse que Robyn Hitchcock décrit un jour l’une de ses chansons à un journaliste. Bien qu’il n’avoue user que modérément de substances illicites, son visage mince et creusé serait plutôt le pur produit de l’Angleterre Middle class, dont les autres reflets connus sont Guy Chadwick, Ian Brown, Viny Reilly ou encore Richard Ashcroft…

Robyn Hitchcock a connu dans sa carrière pléthorique autant de vies qu’un chat de l’Egypte ancienne. Avant même d’entamer une carrière solo en 1981, le personnage était déjà une figure établie de l’après punk londonien, avec ses compères cosmiques des Soft Boys, auteurs d’un album devenu référence, Underwater Moonlight (1980). S’il est peu aisé de résumer le parcours atypique de cet artiste incroyablement actif, les successifs I Often Dream of Trains (1984), Flegmania ! (1986) et Element of Light (1986) sont des témoignages cruciaux de son talent au firmament.

A la séparation des Soft Boys en 1981, ce mordu de pop 60’s entame une carrière solo avec Black Snake Diamond Role, un disque qui ne parvient pas à couper le cordon avec le passé puisque enregistré en partie avec les deux autres Soft Boys. Prolongement eighties du rock façonné depuis Underwater Moonlight, l’accueil reçu est plutôt bon, et le disque contient quelques efficaces ritournelles pop telles « Acid Bird, » « Brenda’s Iron Sledge, » « The Man Who Invented Himself ».
Groovy Decay/Decoy, qui sort l’année suivante, est hélas largement moins convaincant, considéré par son créateur comme un cuisant désastre. Fortement miné par cet échec, il mettra en berne son activité discographique durant deux ans. Rétrospectivement, Hitchcock ne restera cependant pas totalement inactif, et continuera d’écrire quelques compositions pour son ami Raymonde Burns (ex Damned) et ses Captain Sensible.

dreamtrains.jpg I Often Dream of Trains sort en 1984 et marque alors une période de créativité artistique faste. C’est son premier chef d’œuvre post Soft boys, certainement aussi son disque le plus personnel. Entièrement acoustique et déserté, dénué de batterie, cet album est radicalement différent du rock halluciné exercé jusqu’ici. Enregistré en trois ou quatre jours pour 1000 livres – tandis que Groovy Decay en avait coûté 12 000 – I Often Dream… est un coup d’éclat fulgurant. Réminiscence du Syd Barrett des dernières années, du british folk et du Big Star de Third/ Sister Lovers, la folie innocente des débuts vire au noir sur ce disque foisonnant, d’une puissance émotionnelle rare : 19 titres oscillant entre de poignantes folk songs solitaires (“I Used To Say I Love You”, “Cathedral”… ) et des ballades crépusculaires (“Trams of Old London”).
L’ouverture glaciale au piano de “Nocturne” balaye définitivement l’attente hypothétique d’un rock débridé façon Soft Boys. Le piano sera, après sa guitare acoustique fêlée, le second compagnon d’Hitchcock dans ce périple introspectif, apportant une touche indéniablement pop, mais puisé dans les abysses de son inconscient perturbé. On décèle pourtant quelques écarts plus délurés, comme “Uncorrected Personality Traits” (a cappella) resté fameux pour ses paroles irrévérencieuses (« Even Marilyn Monroe was a man, But this tends to get over looked, By our mother-fixated, Overweight, sexist media. »). Ces quelques rares instants de légèreté ne sont qu’une façade dissimulant veinement la beauté sombre du disque, tel l’instrumental “Heart Full of Leaves”, ou encore “Autumn is Your Last Chance” dont le chœurs célestes filent plus de 20 ans après toujours des frissons dans le dos. Ce carnet de bord dépressif se referme comme il s’était ouvert sur le piano grinçant de “Nocturne”.

Requinqué par le succès critique, l’ex soft boys rassemble quelques anciens camarades sous l’entité The Egyptians : Andy Metcalfe (Basse), Morris Windsor (batterie) et Roger Jacksons (claviers). Seul guitariste, Hitchcock s’oriente vers une formule plus rock sur les deux disques suivants, appuyée d’arpèges clairs (la signature psychédélique par excellence) et drapée d’ornements synthétiques extravagants.

flegmania.jpg Cette nouvelle incarnation se matérialise sur Flegmania ! sorti en 1985, l’un des disques de rock psychédélique les plus aboutis de cette période. On y retrouve cette voix étrange, collision entre Syd Barrett et John Lennon, prête à servir un songwriting au sommet de son art, en attestent les classiques indémodables “Egyptian Cream”, “Heaven”, “Insect Mother”. Le funambule de la six-cordes n’a pas son pareil pour glisser dans ses mélodies cristallines des motifs étranges (le très Byrds “Bells of Rhymney”). Derrière la légèreté que laissent entendre ses paroles hallucinées (“Another Bubble”), se mêle de manière sous-jacente un humour grinçant, limite lugubre parfois. L’une de ses chansons pop les plus célèbres, “My Wife and My Dead Wife” en est l’exemple brillant, l’histoire d’un veuf dont la défunte femme hante toujours son quotidien d’homme remarié. Assurément l’une de ses mélodies les plus instantanées, qui sera surpassée sur le mémorable témoignage live Gotta Let This Hen Out. Flegmania ! est passé à la postérité pour le vent de folie qui souffle sur des titres comme le floydien “The Man With the Lightbulb Head”, “Strawberry Mind” (et son accordéon guilleret) ou l’étrange poème récité “Dwarfbeat”. On retiendra enfin une ballade touchante, “Glass”, dont les allers-retours clairs de médiator sur les parties de claviers brumeuses de Roger Jackson pourraient, à elles seules, nous faire regretter cette période pourtant creuse et calamiteuse du milieu des années 80.

elementoflight.jpg Si la pochette blanche d’Element Of Light tranche avec celle obscure de Flegamania !, celui-ci est pourtant son parfait prolongement musical. Enregistré quelques mois plus tard, le second disque des Egyptians est encore une fois une grande réussite, enregistré de main de maître par le fidèle Pat Collier, mentor de The Vibrators, devenu un producteur convoité de la sphère rock indépendante (House of Love, Primal Scream, Wonder Stuff…). Element of Light contient toujours un grand nombre d’hymnes pop dévergondés (le vindicatif “President”, le toujours psyché “If You Were a Priest”, et le funky “Bass”), bien que l’on recense une prépondérance de tempos aériens et apaisés (les sentimentaux “Winchester”, “Raymond Chandler Evening”, “Ted, Woody and Junior”…). Parmi ces joyaux, comment ne pas évoquer cette lumière incandescente projetée par “Airscape” qui prêtera l’un de ses couplets au titre de l’album. Le chant y rayonne d’audace et de délicatesse. “Somewhere Apart », lennonien en diable, rappelle quant à lui l’amour voué aux Beatles par l’ex Soft Boys en chef. Le chapitre se clôt sur “Tell Me About Your Drugs”, où le doux garçon évoque son éternelle quête de révélation créatrice liée aux substances. Après avoir bel et bien percé à jour ce secret générateur, le musicien n’atteindra guère par la suite une telle constance d’inspiration, bien que sa discographie recèle encore d’autres éclats par intermittence.

Le succès ne sera jamais vraiment au rendez-vous – malgré une percée dans les colleges radio US du temps de Flegmania! – mais son fan club peut se targuer d’avoir une communauté de fans prestigieuse dont les plus éminents representants sont REM. Au-delà de l’aventure sonore offerte, chaque album et EP du Hitchock contenait à cette période une petite BD griffonnée par le maître, dont les épisodes suivaient le fil de sa discographie. Aujourd’hui, notre troubadour a arrêté ses jolis dessins, mais tourne toujours activement (avec Minus 5 ces temps-ci), et sort régulièrement des disques qui n’entachent en rien son monument artistique 80’s.




A se procurer également, Gotta Let This Hen Out (1985), superbe album live enregistré au Marquee de Londres. Sans les Egyptians, les intimistes Eye (1990) et Moss Elixir (1996) valent le détour. Perplex Island est plus proche de la veine rock de Flegmania !.
Sorti en 1997 chez Rhino, la compilation Uncorrected Personality Traits: The Robyn Hitchcock Collection offre un excellent tour d’horizon de sa carrière post-Soft Boys.

Tracklisting des albums :

I Often Dream of Trains

1 Nocturne (Prelude) ;
2 Sometimes I Wish I Was a Pretty Girl ;
3 Cathedral ;
4 Uncorrected Personality Traits ;
5 Sounds Great When You’re Dead ;
6 Flavour of Night ;
7 Ye Sleeping Knights of Jesus ;
8 Mellow Together ;
9 Winter Love ;
10 The Bones in the Ground ;
11 My Favourite Buildings ;
12 I Used to Say I Love You ;
13 This Could Be the Day ;
14 Trams of Old London ;
15 Furry Green Atom Bowl ;
16 Heart Full of Leaves ;
17 Autumn Is Your Last Chance ;
18 I Often Dream of Trains ;
19 Nocturne (Demise)

Flegmania !

1 Egyptian Cream ;
2 Another Bubble ;
3 I’m Only You ;
4 My Wife and My Dead Wife ;
5 Goodnight I Say ;
6 The Man With the Lightbulb Head ;
7 Insect Mother ;
8 Strawberry Mind ;
9 Glass ;
10 The Fly ;
11 Heaven ;
12 Bells of Rhymney ;
13 Dwarfbeat ;
14 Some Body

Element of Light

1 If You Were a Priest ;
2 Winchester ;
3 Somewhere Apart ;
4 Ted, Woody and Junior ;
5 The President ;
6 Raymond Chandler Evening ;
7 Bass ;
8 Airscape ;
9 Never Stop Bleeding ;
10 Lady Waters and the Hooded One ;
11 The Black Crow Knows;
12 The Crawling ;
13 The Leopard ;
14 Tell Me About Your Drugs

-Le museum de Robyn Hitchcock