Le phénomène de la gravytation n’aura plus de secret pour vous après écoute de ce premier album de noisy pop débridé et revigorant. Une joyeuse révélation.


Lorsque la marée de l’actualité discographique recule en été, s’échoue de temps à autres sur les plages d’Europe un excentrique magnifique. L’évènement est assez rare dans la sphère du vieux continent pour qu’on s’y penche. Des musiciens pop de cette trempe – ceux parvenant à recouvrir leurs compositions azimutées d’une patine mélancolique – ne courent pas les rues. Des derniers activistes en date, on garde en mémoire le frappadingue premier album de l’écossais Colin MacIntyre aka Mull Historical Society ou les trop vite oubliés The Mabuses… Saluons donc cette distribution héroïque chez nous, livrée par la correspondance du label suédois Pony Rec (Halph, Munck//Johnson) basé à Copenhague.

La providence a voulu que ce soit sur les terres scandinaves que nous parvienne le dernier fils prodigue de cette lignée loufoque : Nikolaj Grummesgärd, uluberlu en chef de Gravy. Enregistré en janvier 2005 sous l’aval de Jens Sondergaard (issu du trio Powersolo), ce baptême du fou ne se soucie guère de la clique garage branchouille actuellement en vigueur. Il faut dire que cet enfant du rock a payé son dû à la saturation et autres accords mineurs furieux. Avant d’immortaliser sa folie sur bande, notre homme était un turbulent guitar hero punk, vaquant de formations garage éphémères (Defectors) à d’autres combos psychobilly qui n’auront jamais franchi la limite du culte national (Godless Wicked Creeps). Ecarté de ses obligations de groupe en 2002, Grummesgärd s’enferme alors chez lui à double tour et compose frénétiquement durant un an. Après avoir passé dix ans à riffer comme un diable, le démon de la création le libère enfin de sa frustration. Il en éclôt une pop bataillonnaire où fusent 1000 idées à la seconde. Révélé en redoutable stratège pop, Nikolaj Grummesgärd a tout de même conservé à travers son chant une ferveur punk qui dégage une euphorie insolite sur ses chansons.

Une formule 60’s de The Creation nous vient en tête pour décrire le monde extravagant de Gravy : « notre musique est rouge avec des flashs pourpres ». Car tel un feu d’artifice allumé devant nous, ces dix morceaux sont le fruit d’une inventivité débridée. Les progressions sans queue ni tête des premiers albums de Pavement semblent avoir été ici reprises pour modèles, mais ne se contentent pas seulement de guitares dissonnantes. Tout en prenant soin de conserver une ligne mélodique évidente, Gravy assemble divers éléments qui, sur papier, peuvent paraître incohérents : on vaque d’un dub très Sandinistien (“Shine on Us”) à un étrange tube New Wave (“Party In The Mens Room”), puis une ballade country redneck caustique (“Bored and Lazy”).
Parenthèse exotique, “That Girl” concourt au titre de single indie pop parfait pour l’été : un thème surf joué sur une corde (comme le veut la tradition) couplé à des choeurs ingénus. Irrésistible. Bien entendu, c’est au moment où l’on s’y attend le moins qu’une lave impressionnante d’effet shoegazing et de claviers au goût rose bonbon coulent sur nos casques écouteurs (“Behind My Walls”).

Malgré tout, on sent que derrière cette démonstration d’allégresse se dévoile en arrière plan une détresse mélancolique, notamment sur le génial “Can’t You see”. Avis aux amateurs des Papas Fritas, ce morceau leur fera verser une larme de nostalgie.

Enfin, il paraîtrait que sur scène le groupe s’adjoint d’une seconde batterie. Un joyeux vacarme en perspective…

– Le site officiel de Gravy

– Le site du label