Grand pianiste de l’ombre, François Couturier n’est pas coutumier des enregistrements sous son nom. Pour preuve, le dernier (Impressions) remonte à 1977. Celui que l’on a vu récemment, lyrique et raffiné, aux côtés de Anouar Brahem, préfère en effet volontiers la discrétion, s’effacer pour mieux imprégner en profondeur la musique des autres. On devine dès lors combien ce nouveau disque relève d’une démarche personnelle qui laisse peu de place au superflu. Prenant pour axe central le cinéma d’Andreï Tarkovski, le musicien – accompagné du saxophoniste Jean-Marc Larché, de la violoncelliste Anja Lechner et de l’accordéoniste Jean-Louis Martinier (le troisième membre du trio formé avec Brahem) – plonge dans un monde de sons suspendus, un espace de rêves brumeux, fait d’attentes méditatives et d’élans émotionnels qui transportent l’auditeur aux confins du silence. En pointant le titre de l’avant dernier film du cinéaste russe (Nostalghia), Couturier ne désigne pas seulement ce tenace sentiment de nostalgie qui se dégage des plans. Il convoque aussi l’épure, l’attente, le rythme au ralenti et le dessin progressif d’une quête mystérieuse qui caractérisent le film, et à présent ce disque introspectif, élaboré d’après les personnages fétiches du cinéaste et quelques thèmes de compositeurs qu’il admirait (Bach, Pergolèse, Schnittke). Comme cette flamme que Gortchakov doit, au péril de sa vie, préserver tout en traversant une piscine vide, la musique de ce quartet libère une lumière vitale et diffractée qui illumine chacun de ces douze magnifiques morceaux.
– Le site de ECM.