Eiffel ne scintille plus de mille feux, Eiffel explose sur un album frontal, sec et sans concession. Romain Humeau, en cavalier seul ou à la tête de son armée de snipers, fait d’ores et déjà partie de ceux qui compteront dans le paysage musical français de qualité.
L’avantage pour un chroniqueur d’avoir à plancher sur un disque d’Eiffel, c’est qu’il est à peu près sûr d’être lu. Soit par la moitié du public qui honnit ce groupe, n’y voyant qu’un énième succédané prétentieux de Noir Désir, des nouveaux bordelais comme on dirait nouveaux riches, soit par l’autre moitié qui érige Romain Humeau et ses comparses en vrais hérauts du renouveau d’une scène rock hexagonale pour le moins endormie. Disons que votre serviteur sympathiserait plutôt avec la seconde catégorie.
Mais aborder Tandoori en gardant à l’esprit le spectre de la bande à Cantat serait d’emblée se planter tant cet album transcende littéralement cet esprit cocardier dont Noir Désir a été longtemps affublé (à tort). Disque plantureux (16 titres), bavard (la fatigante “Paris Minuit” a dû être écrite au chausse-pied), exalté et bruyant, Tandoori ne s’apprécie qu’à un volume frisant l’insoutenable, ce qui constitue en soit une véritable qualité. Ici, exit les violons insolents qui ornaient l’inusable Le ¼ D’Heure Des Ahuris, au rebut les slogans acnéiques d’Abricotine, les guitares reprennent la parole, et ne la lâchent presque plus. Passé le premier titre, l’inutile “Loony Tune For The Moon”, l’album se joue à fond la caisse, tous les voyants au rouge, tympans et peaux de batterie crevés. Certains titres explosent même littéralement la baraque, tels l’épique “Bigger Than The Biggest” ou la bouillonnante “Avec Des Si”, un pur délice à écouter en voiture la nuit (un truc de mecs, quoi…).
Si Romain Humeau proclame à qui veut bien l’entendre qu’il réfute l’étiquette « rock français » (et au vu des références ici exhibées, impossible de lui donner tort), il ne peut s’opposer au fait qu’il arbore l’étendard « rock en français » plus fièrement que quiconque. Romain Humeau écrit comme il respire, tout le temps, et il faut que ça sorte, avec ou sans ses complices (son effort solo L’Eternité De L’Instant est à ce titre une réussite totale), et il écrit tout ce qui lui passe par la tête. Sa générosité est d’ailleurs rare, sur le plan de l’écriture comme sur le plan physique, et c’est encore plus vrai concernant sa voix, de loin son instrument le plus tranchant. Ne boudons donc pas notre plaisir.
Alors oui, si ses textes provoquent parfois l’écoeurement (différence cruciale avec les précédents albums, le chant, mixé très en avant, y est même omniprésent), il n’en saurait être de même avec la musique, rugueuse, agressive, directe et spontanée, qui contrebalance idéalement des mots parfois abscons (si l’on a du mal à saisir immédiatement le sens de “Shalom”, impossible de résister au riff sardonique du refrain). Eiffel va même s’offrir ce qu’il fait de mieux, des petits brûlots bien rentre-dedans, frontaux et sans pitié, tels la très drôle “Gnomes On My Back” ou l’explosif “L’Opium Du Peuple”.
Au final, même si éviter certaines longueurs aurait permis à Tandoori d’accéder au titre tant convoité de « putain de bon disque de rock’n’roll», il n’en reste pas moins un bon disque de rock, c’est déjà ça aujourd’hui en France. Que les chiens aboient, la lame de fond Eiffel trace sa route sans leur jeter le moindre regard.
– Le site de Tandoori