À la frontière de l’avant-garde, la pop des Nits devient fuyante et de plus en plus insaisissable.
Quelle étrange sensation. Knot, le 24e album des Nits déroule ses morceaux et la magie n’opère pas complètement. A-t-on pu écouter cet opus en dilettante ? Jamais de la vie, car chaque nouvelle sortie des Nits, et çà depuis des lustres, est fréquemment l’occasion de s’enthousiasmer. La recette n’est pas connue mais l’évidence est là. L’écoute religieuse de ce disque ne provoque pas le réflexe pavlovien de contentement habituel. L’immédiateté et le coup de foudre ne s’appliquant pas ici, l’analyse de cette œuvre se fera par une autre voie : celle de l’écoute prolongée.
Sans remonter à la période bénite (Giant Normal Dwarf / Ting), notre base de comparaison sera son prédécesseur de 2017, le magnifique et déjà exigeant Angst. Les textes sont ici plus variés, et musicalement, les vétérans néerlandais ne recherchent plus l’impact mélodique immédiat. Les Beatles, l’ultime influence de Henk Hofstede ne transparaît plus d’un poil. Les néerlandais ont même abandonné la notion de couplet-refrain en s’éloignant radicalement du format pop. L’explication se trouve dans les trois longues sessions d’improvisions (20 heures de bandes au total) réalisées dans leur studio Werf d’Amsterdam. Les textes et les mélodies sont venus au fil de ce travail productif.
Atmosphériques, les mélodies se forment et se diluent, et (pour certaines) se perdent. Cet album se destine donc à boxer dans la catégorie reine de la pop musique celle labélisée hors catégorie, où l’on retrouve les chefs-d’œuvre de Talk Talk (Laughing Stock) ou l’album solo éponyme de feu son leader Mark Hollis décédé cette année. Musique minimaliste et épurée, chant serein, immobilisme, intonations jazzy, absence de guitares, Knot (le nœud) est coulant mais jamais il ne resserre son étau. Une grande liberté irradie ces 11 mélodies.
Dans cette voie semi expérimentale et moins structurée brille un fabuleux morceau, “The Electric Pond”. Enigmatique et dense, il amalgame le chant épars, varié et expérimental de Henk, un rythme lancinant de percussions, un piano mélancolique et des nappes angoissantes de synthés. De nombreuses respirations ponctuent aussi cette parenthèse magique. Le court interlude (“Une Petite Allumette”) fait ensuite retomber l’émotion. Néanmoins, on méditera sur son texte (très court) et surréaliste. “Music Box With Ballerina” explore une nouvelle fois le côté sombre et décalé des Nits là où le désorienté “(Un) Happy Hologram” met en avant la dextérité de Rob Kloet aux percussions et le travail pointilleux et maîtrisé des effets sonores chers aux Nits. Le violon disgracieux de Marieke Brokamp (arrangé par Robert Jan Stips) et le traitement « extrême » et déphasé des voix amplifie la zone d’inconfort ressentie, et éloigne définitivement cette composition de l’univers enjoué et pop du groupe. Quelle audacieuse conclusion.
A l’autre bout du chemin “Ultramarine” s’avance au son de chatoyantes textures sonores. Un regret tout de même : cette mélopée est singulièrement dépourvue de magnétisme.
Au cœur du voyage “The Blue Car” décélère d’un cran supplémentaire le tempo. Totalement épuré dans son instrumentation il met en exergue la voix haut perchée de Henk. Simple en apparence mais brillamment réalisé. Les Nits sont familiers des acrobaties sonores. Sur “Dead Rat Ball” on y entend Henk Hofstede, Robert Jan Stips et Rob Kloet improviser en direct et manier tout le panel disponible de leurs instruments.
Les griefs existent cependant : “The Concrete House” donne l’impression stérile d’écouter une chanson de leur discographie passée avec quelques effets de style déjà usités.
Avec les Nits, la barre d’exigence est si haute que ce 24e opus ne nous comble que partiellement. C’est un ressenti guidé sans doute par le choix des musiciens de privilégier l’atmosphère dans sa globalité plutôt que la mélodie dans son individualité. Mais Knot a pour lui d’exercer un fort pouvoir d’attraction. L’envie pressante de le réécouter est continuellement là.
Werf / 2019
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Tracklist :
- Ultramarine
- The Delta Works
- The Concrete House
- The Garden Centre
- The Blue Car
- Machine Machine
- Dead Rat Ball
- The Electric Pond
- Une Petite Allumette
- Music Box With Ballerina
- (Un)Happy Hologram