Rencontrer Austra Katie STELMANIS un vendredi 13, le lendemain d’une annonce présidentielle installant un couvre-feu national ne pouvait augurer que d’un moment particulièrement rare…
Après dix années de concerts vibrants dramatico-électro et trois albums pertinents (Feel It Break, Olympia, Futur Politics) c’est un autre chapitre que la Canadienne a décidé d’écrire avec l’album Hirudin, qui sort le 1er mai chez Domino. Résolument affectée par une relation dont elle a souhaité se libérer, Katie STELMANIS a construit avec audace son projet créatif comme un acte de résilience qu’elle partage avec nous et qui, à sa façon nous libère aussi !
C’est au cours de ce processus créatif de plus d’une année, que Katie STELMANIS a trouvé le nom de l’album, Hirudin. « En pensant aux relations toxiques, j’ai commencé à lire sur les sangsues« , explique-t-elle. « J’ai appris que lorsqu’elles sucent votre sang, elles libèrent un peptide appelé hirudine qui est l’anticoagulant le plus puissant au monde. Ainsi, bien que les sangsues elles-mêmes soient considérées comme des parasites, elles ont aussi la capacité de guérir. Comme pour les relations toxiques, qui vous donnent l’occasion de grandir et d’en apprendre plus sur vous-même ».
« Je pense que toutes les relations agissent comme un miroir de l’état de notre propre bien-être intérieur. Les relations toxiques peuvent être difficiles, mais souvent la raison pour laquelle nous nous y retrouvons a plus à voir avec nos propres problèmes d’insécurité qu’avec l’influence d’un partenaire – et reconnaître cela est une grande opportunité de guérir et explorer comment nous pouvons mieux nous aimer nous-mêmes ».
Quand on la questionne sur le slogan qu’elle aurait pu imprimer sur la cover elle répond « Love Yourself ». Un credo qui exprime bien un optimisme retrouvé et en croyance en sa propre voie, libérée notamment d’une certaine dépendance dont elle a souffert à la fois dans sa vie privée et dans sa démarche artistique. Exit notamment la collaboration avec la batteuse Maya POSTEPSKI (que nous avons retrouvé auprès de Robert ALFONS sur son dernier album Destroyer de TR/ST) et bienvenue à un collectif nouveau qu’elle a souhaité créer. « vous pouvez être entouré d’amis et vous sentir seule, ici j’ai souhaité créer un collectif d’envies et non de dépendance qui me nourrit et me construit ».
On retrouve ainsi à ses côtés Rodaidh McDonald (The XX, Sampha, Savages), Joseph Shabason (The War on Drugs, Destroyer, Diana) et en touche finale David Wrench (Bat For Lashes, Caribou). Mais si on devait résumer la démarche de construction de cet album, définitivement plus intimiste que les précédents, on pourrait dire sans sourire que Katie STELMANIS s’est surtout entourée d’elle-même.
Plus en introspection et en paix, elle a trouvé des ressources, une énergie libre, qui lui ont ouvert un nouveau champ d’action et d’inspiration. Le titre « How did you know » le reflète bien. Elle a effectivement mois après mois, savamment monté, réécrit et réarrangé l’ensemble des titres. C’est tout naturellement qu’elle nous répond par la positive quand on lui demande si ce travail lui a donnée envie désormais de produire d’autres artistes qu’elle.
Production sous contrôle
A la question de savoir si la musique peut nous aider à rendre ce monde qui nous entoure moins toxique ? » sa réponse est assurée et assumée : « La musique a le potentiel de faire en sorte que les gens se sentent vulnérables, moins seuls, et ainsi nous rappeler notre propre humanité. Lorsque nous sommes capables d’avoir de meilleures relations avec les autres, je pense que nous sommes plus à même d’entrer dans la société avec amour et compréhension, et la musique nous aide à nous connecter de cette façon ».
Même si l’on retrouve les ingrédients majeures d’Austra avec ces inimitables mélopées puissantes et enivrantes, cet album contient une belle homogénéité, un liant que n’avaient pas les précédents. Hirudin est donc bien la signature d’un affranchissement mais aussi le fruit d’un travail sous contrôle de son unique auteur et producteur.
Le titre très efficace « Risk it », premier single a être diffusé est un concentré de cette nouvelle déclaration que nous fait notre canadienne originaire de Toronto. Servi par un clip signé par la réalisatrice Jasmin Mozzafari, qui explique : « Je voulais construire une pièce narrative qui se déroule sur une nuit en me concentrant sur une protagoniste se trouvant au carrefour inévitable qui existe quand l’amour s’effondre. En fin de compte, j’ai vu « Risk It » comme une chanson sur la peur d’être vulnérable. Au début, la protagoniste essaie de tout faire pour échapper à ce sentiment, mais à la fin elle est forcée d’y faire face ».
Sur son influence d’artiste, elle est consciente qu’elle incarne pour beaucoup de ses fans la preuve vivante et en musique que l’on peut vivre en étant singulier. Quand on lui demande quel est le conseil qu’elle pourrait donner aux nouvelles générations, elle revient naturellement à la force du collectif et l’importance de l’amitié dans une vie qui se construit ou se reconstruit.
A l’écoute de l’album, on a le sentiment qu’Austra, après avoir milité pour les autres, a eu la volonté de militer pour elle-même. Les paroles de « Futur politics », sont significatives sur ce thème (« Le système ne vous aidera pas et votre argent non plus. Nous sommes en dehors de tout ça. La tombe a été creusée. Je cherche à m’élever »), ainsi que la chanson titre de l’album, « Herrudin » (Peu importe si tu es désolé maintenant / Parce que je pars demain / Tu as tout foutu en l’air quand tu es parti. Tu as foiré tu ne coucheras pas avec moi. Quand tout ce que je voulais c’était ton amour). A ce sujet, Austra nous confie d’ailleurs ses mots : « Se réconforter soi-même est une démarche que l’on fait certes pour soi-même, mais aussi pour ceux qui vous entourent ».
Enfant de la montagne
Un des titres les plus surprenant et attachant est « Mountain Baby ». Quand on la questionne sur ce titre, la musicienne explique qu’elle vivait lors de la composition de son album à la montagne, au milieu de nulle part en Espagne, et qu’à cette époque, elle se considérait souvent comme l’enfant de celle-ci. Elle souhaitait au préalable faire une version instrumentale mais rapidement l’idée d’y ajouter des voix d’enfants est apparue.
Aussi, elle a tout naturellement fait appel à sa mère qui est enseignante, pour demander à ses élèves de participer à l’enregistrement. Le morceau était presque terminé, mais il n’y avait pas encore de refrain. C’est là qu’elle a décidé de l’envoyer à son amie Cécile BELIEVE pour voir si elle avait des idées et dans les deux heures qui ont suivi, elle a renvoyé le morceau avec le refrain tel que nous l’entendons aujourd’hui. Un refrain à la fois vivifiant et consolant. Un peu comme une réconciliation avec son passé, comme si elle avait rebouclé avec le début de son parcours, ses origines.
Même si jeune, elle a bénéficié d’un apprentissage musical poussé (elle a fait notamment partie du Chœur d’Enfants de l’Opéra canadien), elle considère son succès comme « un accident ». En échangeant avec elle on comprend que la carrière de Katie est plus la réalisation d’un rêve d’adulte que celui d’un enfant qui se regarde jouer devant la glace.
Katie STELMANIS nous offre avec ce nouvel album un témoignage touchant de résilience, une invitation à nous réconcilier nous aussi avec notre fort intérieur. De l’espoir également, car quel que soit le temps, le lieu, l’âge ou et son environnement, relancer les dés et vivre sa propre vie est certainement la plus belle preuve de liberté qu’un adulte puisse s’offrir.
Elle le prouve avec cœur et brio. Pour conclure cette attachante rencontre, on vous confie en bonus la play-list « anti fucking ambient anxiety » que nous nous avons demandé à Katie de nous sélectionner :
Tops – Anything
FKA Twigs – Mirrored heart
Bjork – Black Lake
Basia Bulat – Already Forgiven
Pantayo – Divine
Austra, Hirudin (Domino Records)
En concert le 26 novembre 2020 – La Machine Du Moulin Rouge, Paris
Site officiel
Track-list :
1. Anywayz
2. All I Wanted
3. How Did You Know?
4. Your Family
5. Risk It
6. Interlude I
7. It’s Amazing
8. Mountain Baby feat. Cecile Believe
9. I Am Not Waiting
10. Interlude II
11. Messiah