S’il est un pianiste qui impressionne, c’est bien Martial Solal. Impressionner, oui, mais dans tous les sens du terme : à bientôt 80 ans, Solal épate par son originalité jamais prise en défaut, fait vibrer nos oreilles avec son intelligence artistique d’une grande probité et laisse durablement son empreinte sur tout ce qu’il touche/joue. Entre ses mains la matière jazz donne à entendre une vérité inouïe que beaucoup de musiciens guettent dans l’espoir, toujours reconduit, de pouvoir un jour l’approcher. Le voici donc avec un « newdecaband », pianiste, compositeur et chef d’orchestre, homme à tout défaire, instigateur d’un remue-méninges timbré (aux cuivres, Lionel Surin, Claude Egea, Eric Le Lann, Denis Leloup, Marc Roger et François Thuilliez le sont assurément), initiateur d’une « frèle danse » (“A Frail Dance”) enchantée (Claudia Solal, la fille du leader, donne de la voix comme d’autre leur coeur). Exposer sans tableau, revient à devenir soi-même toile, notes, musique. Non pas abolir le cadre mais en réinventer les dimensions et les limites à l’aune d’un espace/corps vivant. Encore et toujours impressionner, apposer de vives touches musicales, multiplier les contrastes les plus osés (écouter la pétulante basse électrique de Jean-Philippe Morel), faire jaillir la durée, déborder d’idées. La modernité ainsi exposée n’est autre que le tableau d’un autoportrait en creux (en plein devrait-on plutôt écrire) d’un artiste « Incoercible » – comme l’indique le titre en ouverture. Un artiste fougueux qui joue sans cesse à être un grand gamin, mettant une belle claque dans la foulée au jeunisme ambiant. Car cette jeunesse-là, éternelle il va sans dire, réinvente chaque seconde le monde là où d’autre l’enferme dans des musées.
– Le site de Nocturne.