Paris est décidément gâtée en ce début d’avril. En moins d’une semaine, la capitale a reçu deux de ses plus éminents ambassadeurs internationaux de la pop. Après les merveilleux Shins qui ont comblé l’audience de l’Elysée Montmartre dimanche dernier, c’est au tour vendredi des écossais Camera Obscura de traverser la Manche. Le cadre de la salle du Point Ephémère, rendez-vous des bobos du Canal St Martin et des élèves du cours Florent situé à deux pas, se prête bien à l’environnement bohème du sextet de Glasgow, qui ce soir fait le plein (près de 300 personnes). Pour un groupe qui n’a jamais été distribué en France, cette affluence de fans démontre que leur renommée ne cesse de grandir depuis la sortie de leur troisième album Let’s Get Out Of This Country.
En première partie, le rock exubérant du trio franco-finlandais Thedø tranche avec le caractère docile et suranné du groupe de Tracyanne Campbell. Les trémoussements de la juvénile chanteuse/guitariste d’Helsinki, Olivia B.Merilahti, et ses deux acolytes parisiens gagnent pourtant la sympathie du public. Leur rock rêche et maniéré aime à se cambrer, à l’image des danses de sa chanteuse extravertie, rythmées par un batteur qui se plait à hasarder ses baguettes sur des plats de cuisine en argent. Bon compromis entre les Slits, PJ Harvey et un zest psychédélique, leur premier album annoncé pour septembre s’annonce lumineux.
De rayonnement, il est toujours question lorsque vers 22h15 les lumières éclairent la salle et les yeux turquoises, magnétiques, de Tracyanne Campbell. Le groupe est manifestement heureux de faire enfin la connaissance avec son public parisien. Vêtue d’une robe qui n’aurait pas dépareillée sur la pellicule de Jules et Jim, Tracy est souriante, loin de sa réputation de moue boudeuse et peu expansive. Ce soir l’humeur est incontestablement tout autre. La brunette échange des politesses avec son public (enrobées d’un accent écossais à couper au couteau), avant d’entamer le superbe “Come Back Margaret” – elle plaisantera plus tard sur les uniques toilettes de la salle, très convoitées, qui lui auront presque coûté de manquer la balance…
Visuellement, il faut admettre que le spectacle est aussi expressif qu’un tableau d’Yves Klein : de Carey Lander (piano, orgue et choeur) d’une timidité maladive, Kenny McKeeve à la concentration imperturbable (guitare, mandoline, harmonica et voix), Gavin Dunbar au physique imposant mais silencieux (basse) et Lee Thomson reclus (batterie), Nigel Baillie (trompette et percussion) sera le seul musicien à s’échapper de son socle pour rejoindre Tracyanne. Nous mettrons ce minimalisme sur le compte de leur forte identité insulaire, tout en concédant que cet état d’esprit se marie également au romantisme cérébral de leur musique. Ceci n’enlevant rien à la cohésion d’exécution du sextet, servi par un son cristallin, alternant valse rock, ballade folk, sucrerie spectorienne avec clappements de mains et dérive pop éplorée façon Pale Fontaines (les trompettes galvanisantes de “Razzle Dazzle Rose”). Le tout avec beaucoup de décontraction.
Dévêtus de leurs apparats symphoniques, les singles évidents “Lloyd” et “Let’s Get out…” trouvent une résonance qui renoue avec l’épure classieuse d’Under Achieviers Please Try Harder. La voix est peut-être un peu moins bien placée que sur disque, mais gagne véritablement en humanité. Le moments forts des deux premiers albums seront pratiquement tous survolés (mention spéciale au très attachant “Suspended From Class”), tout en laissant une place conséquente à Let’s Get Out Of This Country. Seul véritable regret, le groupe jouera un peu plus d’une heure, avant de revenir pour le rappel. Deux titres sont alors joués, dont le classique “Eighties Fan”, réclamé à la demande générale et interprété en mode feutré et acoustique. La reprise attendue du “Super Trooper” d’Abba est écartée, en raison peut-être de quelques soucis techniques apparus sur la fin. Puis, la troupe timide quitte la scène en remerciant chaleureusement son public, enchanté, qui le lui rend bien.
Il est près de minuit, la promenade se termine en solitaire au bord du canal. La nuit est étonnamment douce, mais nos pensées sont ailleurs, poursuivies par le regard pénétrant de Tracyanne Campbell, obsédées comme Bertrand Morane par les jambes sensuelles d’une silhouette inconnue.
Photos de Pascal Amoyel