Cinquième album en forme de résurrection pour le guitariste et songwriter originaire de Chicago et produit par John McEntire.
Ce fut loin d’être un long fleuve tranquille pour Ryley Walker depuis la révélation de son deuxième album, Primrose Green en 2015. Signé alors sur le prestigieux label Secretly Canadian (Bon Iver, Angel Olsen…), le talentueux guitariste et songwriter américain s’est soudainement retrouvé sur les feux de la rampe, un peu trop vite catalogué nouveau Nick Drake. Virtuose de la six-cordes, le musicien de Chicago n’entend pourtant pas seulement se cantonner au registre du “folker maudit”, et multiplie les projets instrumentaux, notamment avec son camarade de cordée Bill McKay et le batteur jazz Charles Rumback.
Son précédent album studios, l’abstrait Deafman Glance (2018), suivi de près par le déroutant The Lillywhite Sessions, (une version revisitée d’un disque bootleg du Dave Matthews Band), poussaient encore plus loin un désir d’émancipation vers le jazz et le prog, notamment par le prisme de l’improvisation et de l’électricité, et non sans flirter avec un certain chaos. Chaos dont on ne se rendit compte plus tard avec le recul… En effet, en 2019, Ryley Walker livre une terrible bataille contre ses démons : il alcoolisme, consommation assidue d’héroïne et de la cocaïne. A cela s’ajoute fatalement une lourde dépression qui aboutira à une tentative de suicide lors d’une tournée en première partie de Richard Thompson. Sauvé in extremis, le musicien rentre à New York (où il vit désormais), se sèvre et suit une psychothérapie de groupe. «Lorsque vous essayez de vous suicider et que cela ne fonctionne pas, c’est évidemment un tournant.», confia-t-il dans un entretien.
Au-delà de ce tournant, on peut même parler de résurrection avec Course in Fable, son cinquième album, qui paraît via son propre label Husky Pants Records (et dont il vient également de sortir un album avec le groupe japonais Kikagaku Moyo). Réalisé par le gourou post-rock John McEntire (Tortoise) et accompagné par la crème des musiciens de jazz-rock chicagoan (son fidèle ami Bill Mackay, le batteur Ryan Jewell et Andrew Scott Young à la basse et au piano), les sept titres qui le composent s’inscrivent dans une certaine continuité avec Deafman Glance (2018), mais lesté de ses errances. Course in Fable sonne d’évidence plus abouti, que ce soit sur le plan du songwriting (les très pop Shiva With Dustpan et Rang Dizzy) ou à travers les développements instrumentaux à la lisière du jazz et du rock progressif. Ainsi, les mélodies s’invitent dès le foisonnant Striking Down Your Big Premiere, avec une intro croisant piano alambiquée et solos de guitares cosmique façon The Gate of Delirium de Yes (la technique mais jamais démonstrative), qui débouche sur un refrain classieux porté par le chant feutré de Walker.
Les progressions d’arpèges torsadées de A Lenticular Slap pourraient évoquer un King Crimson période Discipline, mais qui serait entouré d’une végétation dense. Il faut saluer aussi le travail de production de McEntire, qui réussit à rendre l’ensemble à la fois contemporain (en refusant de tomber dans les stigmates “prog”) et cohérent. Certaines parties de “Axis Bent” et “Pond Scum Ocean” n’auraient d’ailleurs pas dépareillé sur un disque de Tortoise. Enfin, bonne surprise, Walker semble enfin réconcilié avec les folksongs, livrant deux perles “Rang Dizzy” et “Shiva With Dustpan”, toutes décorées d’une section de cordes et cello. A 32 ans, Ryley Walker a repris le contrôle de sa destinée. Souhaitons-lui bonne route.
Husky Pant Records – 2021
Tracklisting :
- Striking Down Your Big Premiere
- Rang Dizzy
- A Lenticular Slap
- Axis Bent
- Clad With Bunk
- Pond Scum Ocean
- Shiva With Dustpan