Sur le 12e opus de la mystérieuse Lisa Harris (Grouper) la communion est profonde et sereine.


L’exploration du 12e album de l’Américaine Lisa Harris est, comme toujours, intérieure. Illusoire de vouloir siffloter ses mélodies en déambulant joyeusement… la vérité est ailleurs ! 
Shade est une nouvelle collection inédite de morceaux composés en différents lieux et sur une longue période de 15 années. Potentiellement hétéroclite, ce nouveau recueil affiche au final une belle homogénéité.

L’auteure et compositrice immuablement minimaliste commence pourtant par brouiller les pistes. « Followed the Ocean », premier titre figé dans les zébrures sonores lointaines, flirte en mode démo sur les terres saturées de My Bloody Valentine. Au premier abord une entrée difficile, donc tout le contraire d’une formation lambda qui nous appâterai d’entrée avec son morceau le plus convaincant. La musicienne est dans son monde, c’est à prendre ou à laisser. « Followed the Ocean » colle au plus près de la nature.

Harris vit aujourd’hui à Astoria dans l’Oregon là où la rivière Columbia se jette dans l’océan Pacifique. Cette proximité avec les éléments, ou plus « spectaculairement » avec la compositrice et sa guitare est une constante tout au long de ce recueil. Shade offre ainsi l’impression d’un récital privilégié dédié à celui qui écoutera. Cet état est renforcé par ses choix artistiques. Harris délaisse les ambiances éthérées et réverbérées au profit de sa seule guitare acoustique qu’elle accompagne de son fragile timbre de voix. Les compositions franchement épurées s’appuient sur des textes plus perceptibles qu’à l’accoutumé où l’émotion est tangible. Les climats sonores associés à une douceur étrange immortalisent la notion de lenteur.

« Ode to the Blue » est à ce titre un merveilleux spécimen. Folk et minimaliste, franchement dénudée, cette ode à la solitude repose sur un fragile équilibre entre la voix rêveuse et timide de Harris et le frottement spartiate des cordes de sa guitare. Cette progression vers la clarté et l’émotion va finalement se concrétiser. « Unclean Mind » sort de la zone d’inconfort du premier morceau, les accords de la guitare acoustique sont mis en avant au profit de son chant dorénavant plus intelligible.
Avant l’éclaircie, « Disordered Minds » sera la dernière mélodie où résonneront de conséquentes plages sonores distordues. Cette nouvelle lame de fond sonore, comme étouffée et contenue, est entretenue par le bourdonnement des instruments.

Les 4 dernières mélopées vont ensuite adoucir l’exaltation sonore. La sobriété de l’instrumentation et l’interprétation de Lisa Harris sont un modèle du genre. Paisibles et réservées (« The Way Her Hair Falls », « Promise » et « Basement Mix ») gagnent en limpidité. Quelques spartiates pincements de cordes de guitares timidement ou furtivement  interrompus par la voix désincarnée ou ténue de l’artiste vont s’apprécier religieusement. Ce fragile et bel équilibre apparait comme souverainement éphémère.

« Kelso (Blue Sky) », dernière et magique mélodie, conclut de la plus belle des façons ce disque. Elle requiert tous les accessits ; celui du titre le plus accessible, celui du plus pénétrant, celui où la compositrice y est la plus expansive, celui où… tout est beau mais un peu mélancolique.
Shade est donc le nouveau sanctuaire fragile de la compositrice Lisa Harris. Il entérine encore un peu plus le mystère.

Kranky – 2021

Tracklisting :

  1. Followed the Ocean
  2. Unclean Mind
  3. Ode to the Blue
  4. Pale Interior
  5. Disordered Minds
  6. The Way Her Hair Falls
  7. Promise
  8. Basement Mix
  9. Kelso (Blue Sky)