On a décidé de se repencher sur le cas Arcade Fire, chose que nous n’avions pas fait depuis bien longtemps… Surprise, ce sixième album rallume la flamme.
C’est ce qui s’appelle renverser la vapeur. Voilà bien longtemps que nous ne vibrions plus pour les figures de proue du rock indépendant des années 2000, Arcade Fire. Dès leur incandescent premier album Funeral, le quintet canadien emmené par le couple montréalais Win Butler et Regine Chassagne, est monté très haut – trop haut ! – à des années lumière de la concurrence. Inéluctablement, la flamme a ensuite perdu de son intensité au fil des albums suivants.
Certains pointent la cassure dès le troisième album, The Suburbs, tout à fait honorable en vérité, dont le seul reproche serait de tenter autre chose, de ne pas viser systématiquement ce côté rock emphatique, exacerbé. Même les longueurs très dispensables du double album Reflektor (2013) avec l’apport du LCD en chef James Murphy qui a coproduit certains titres, n’ont pas atténué la popularité sans cesse grandissante des Canadiens. Non, le schisme s’est véritablement produit avec Everything Now (2018) et ses multiples appels du pied bien lourds à Abba (peu importe notre avis sur les stars disco scandinaves, le filtrage manquait ici de finesse) et la production de l’ex Daft Punk Thomas Bangalter, vraiment pas à la hauteur des attentes. A trop vouloir chercher ailleurs (collaborations, nouveaux sons…), Arcade Fire avait dilué son identité.
Autant dire que cinq ans plus tard, nous ne les attendions plus comme les messies du rock. Le premier titre dévoilé, qui en compte en fait deux – The Lightning I, folk-pop mélancolique, puis The Lightning II, plus enlevé avec son déluge de cotillons – n’a pas vraiment provoqué en nous d’hystérie, même si on reconnaît un retour bienvenu aux racines. Et puis parfois, il faut laisser du temps et voir l’oeuvre dans son ensemble… Les autres morceaux du disque désormais réunies, les pièces s’assemblent et jouent en leur faveur de The Lightning, on apprend à l’apprécier différemment, sous une nouvelle perspective. Tout cela pour dire que We est un album qui gagne à être écouté en intégralité.
Première observation, les Canadiens proposent quasiment que des compositions scindés en deux parties, avec au final cinq véritables morceaux sur les 10 plages totales. Sentiment de filtrage accentué par le fait que le disque ne dure que 40 minutes et quelques. L’album lui-même est d’ailleurs conçu en deux parties : une face recto intitulée « I », centré à la première personne, introspectif et plutôt sombre ; puis une verso intitulée « WE », fédérateur et teinté d’espoir.
Si WE est pensé par ses géniteurs comme un disque concept, nous sommes tout de même très loin musicalement d’un pavé rock progressif à la Yes ou Genesis. Pour justifier ses titres scindés, Régine Chassagne confiait récemment plutôt s’être inspirée de la musique classique (le rock progressif aussi ceci dit). Une chose est certaine, We renoue avec les airs fédérateurs qui ont fait le succès du groupe tout en exploitant le meilleur des recherches sonores électroniques tentées sur le double album Reflektor. Co-produit par Nigel Godrich, le fameux sixième membre de Radiohead, We se veut nettement plus digeste que ses deux prédécesseurs. « Age of Anxiéty I », qui ouvre l’album sagement, affole les compteurs au bout de trois minutes, sur un tempo quasi disco et des synthé incandescents. Une solide entrée en matière. Sa deuxième partie, décline d’abord son thème sur un piano épleuré, puis réallume la mirrorball avec des ingrédients post-punk dansant à la LCD Soundsystem. Les choeurs emportés de Régine Chassagne, en contrepoint de Win Butler, se chargent de propulser le morceau sur la piste aux étoiles. Du quatre étoiles perso pour nous. “End of Empire” est une ballade piano/guitare grandiloquente avec un côté glam à la Bowie, agréable mais pas transcendante (c’est là toujours le problème avec Arcade Fire, on est moins tolérant que pour d’autres groupes). Cette critique de notre société “addict” aux réseaux sociaux manque un peu de profondeur (“I Unsuscribe”, certes, mais encore?).
Mais le meilleur nous est réservé sur la deuxième face. Cela démarre donc avec « The LightningI, II », hymne fédérateur qui finalement s’avère être un “grower” (comme le disent si bien les anglais). Puis surtout le touchant « Unconditional I (Lookout Kid) », dédié au fils du couple Butler/Chassagne : « A lifetime of skinned knees / And heartbreak comes so easy / But a life without pain would be boring / And if you feel it, it’s fine / I give you everything that’s mine / I give you my heart and my precious time ». Là, on n’avait plus retrouvé une telle ferveur dans le groupe depuis « Windowsill ». C’est dans ses moments-là qu’on se dit que personne ne chante mieux l’union et l’espoir qu’Arcade Fire. Peter Gabriel passe ensuite dire bonjour sur la new wave tribale d’ « Unconditional II (Race and Religion) », mais c’est encore Régine Chassagne qui vole la vedette. Le superbe morceau qui clôture et donne son nom à l’album, l’un des rares à ne pas être coupé en deux, est une folk intimiste dont la progression d’accords évoque le « Cattails » de Big Thief. Peut-être un chouia en-dessous d’Adrianne Lenker and co, mais plaisant tout de même.
Ce retour des Montréalais les plus célèbres de la sphère rock marque donc des points avec un disque qui se dévoile écoute après écoute. Le renfort de Dan Boeckner (Wolf Parade) pour la longue tournée mondiale qui s’annonce, afin de palier au départ de Will Butler (qui a tout de même participé à l’album) ne devrait que renforcer sur scène ces bonnes ondes. Avec un retour programmé en France, au Zénith de Lille le 11 septembre, puis à l’Accor Arena de Paris (Bercy) lei 15, à l’Arkea de Bordeaux le 25 et enfin au Zénith de Nantes le 26. Les occasions sont rares de nos jours pour célébrer ensemble l’espoir. Gardons l’oeil, et le bon.
2022 – Columbia Records
Producteur : Nigel Godrich
Tracklisting :
1. Age of Anxiety I
2. Age of Anxiety II (Rabbit Hole)
3. Prelude
4. End of the Empire I-III
5. End of the Empire IV (Sagittarius A*)
6. The Lightning I
7. The Lightning II
8. Unconditional I (Lookout Kid)
9. Unconditional II (Race and Religion)
10. WE