Champions du mauvais goût assumé, le trio psychévangéliste de Norman (Oklahoma) enfante sur son second opus d’un monstre baroque. Suspiria a désormais son pendant rock.
Dans le sillage des démoniaques Black Mountain, difficile de détourner son regard du visuel délicieusement kitsch de The Evening Descends. Ces grands orbites glacés – encore une victime de cette cassette maudite de Ring ? – ne provoquent pas la même dose d’effroi que ceux d’In the Court of The Crimson King, premier album culte de King Crimson, mais donnent déjà un aperçu du degré de fantaisie qui s’y trame. Après So Gone (2006), fumant delirium « néo-psyché-prog-n’importe quoi » dans l’air du temps passé complètement inaperçu, le manitou Josh Jones, Kyle Davis et Austin Stephens se lancent dans une passion inavouée : la bande-son de films d’épouvante…
Drôle d’ovni que ce The Evening Descends, truffé de clins d’oeil (globuleux) attendrissants lancés aux monstres carton-pâte de la Hammer, à la surenchère gothique de l’esthète italien Mario Bava et autres « pop-corn movies » oubliés du samedi soir. On mélange tout ? Ce n’est pas grave, Evangelicals en fait autant sur ce disque abracadabrant. Les titres des compositions, explicites, se passent de commentaires. Écoutez plutôt les effets spéciaux sonores disséminés sur chaque piste, délicieusement rétro ! Bruitages grotesques, coagulations de Blob, ondes Martenot spectrales, surimpressions de choeurs fantomatiques à retourner dans leur tombe les mort-vivants de Romero…. Mais surtout, c’est le lyrisme exacerbé de The Evening Descends qui nous entraîne dangereusement vers l’Au-delà (celui d’un Lucio Fulci ?).
So Gone partait déjà dans tous les sens à grands renforts de synthés flashy et envolées sans queue ni tête. Avec ce second opus, le trio parvient à coincer dans son barouf exquis des mélodies plus disciplinées. Sans abandonner l’extravagance des débuts, les audacieux “Skeleton Man”, “Bloodstream” ou encore “Party Crashin” (pic chimérique où la voix suave et juvénile de Josh Jones grimpe, atteint des hauteurs déraisonnées) sont de véritables splendeurs pop. Et que dire de l’entrée en grande pompe “Evening Descends” théâtre d’une féérie bizarre, un capharnaüm pas possible mais extatique : le rideau rouge s’ouvre sur un glissando de harpe majestueux, puis déboule de nulle part un vaillant solo de guitare électrique aussi bref que noyé. Nous sommes entrés dans la cinquième dimension.
Tout comme la créature de The Toxic Avengers, le corps instrumental de la bande à Josh Jones est tombé dans un chaudron d’acide : des touches de claviers leur sortent par les os et des manches de guitare par le nez. On assiste ahuris à la naissance d’une pop difforme, outrageusement contorsionnée et recouverte de « Slime », cette fameuse pâte gluante qu’on s’échangeait dans les cours de récré. Il y a une approche engagée presque dadaïste dans cette façon d’empiler des couches farfelues de synthés analogiques, choeurs et guitares. Ces incidences donnent le sentiment que les musiciens sont continuellement sur le point de trébucher. Et, pourtant, tout tient, prodigieusement. Mieux, cascadeurs nés, Evangelicals engendrent à chaque dégringolade un nouvel état de grâce. Etre pris dans les filets d’Evangelicals, c’est finalement accepter d’être embarqué vers l’inconnu : leurs mélodies empruntent des trajectoires sinueuses dont même Sunset Rubdown serait bien en peine de suivre la trace.
Cette symphonie dissonante, mélange improbable de rock progressif, new wave, hard rock et psyché folk, file le frisson. Ces diables sont donc parvenus à leurs fins.
-Lire également la chronique de So Gone (2006)
– Le site de Dead Oceans Records