On savait depuis trois ou quatre disques (disons au moins depuis Mountain Passages, sorti en 2005) Dave Douglas en pleine possession de ses moyens, traversant une période de faste créativité. Moonshine en apporte une nouvelle fois la preuve irréfutable. Inspiré du film muet éponyme réalisé en 1918 par Roscoe Arbuckle, avec Buster Keaton dans le rôle principal, cet album est l’oeuvre du sextet Keystone. Une formation à forte teneur électronique, avec laquelle le grand trompettiste avait déjà enregistré un très bon premier album en 2005, et qui compte dans ses rangs aux platines DJ Olive, au Fender Rhodes Adam Benjamin, à la batterie Gene Lake, à la contrebasse Brad Jones et au saxophone ténor Marcus Strickland. L’intensité du jeu, la densité du son et le tempo tantôt soutenu tantôt plus ralenti poussent Moonshine du côté d’un jazz hybride, reliant dans un même élan dynamique le Miles Davis des années 70, la rugosité du rock et l’énergie débridée du funk. La frénésie qui s’empare par exemple de “Kitten”, morceau jazz-prog emmené par une batterie survoltée et un Fender Rhodes électrifié, capable de délivrer de véritables riffs de guitare rageuse, indique presque à elle seule la voie empruntée par le groupe. Et le reste de l’album est au diapason : un mélange remarquablement agencé de sonorités acoustiques, de rythmiques groovy, d’extraits de vinyls samplés, de laptop et de bribes de dialogues (le très politisé “Flooded Plane” et son fameux « terroriste » prononcé à l’envi par George W. Bush sur fond d’implorations arabisantes). A l’image d’une scène fameuse du film de Roscoe Arbuckle, au cours de laquelle un nombre interminable de personnes sortent d’une voiture qui semblait pourtant ne pas pouvoir en contenir plus de quatre, les morceaux regorgent d’idées et de motifs. Une profusion vertigineuse qui ne vire jamais à l’exercice de style gratuit et sonne continuellement moderne. Turbulences contrôlées, échanges spontanés, ambiances contrastées, écriture souterraine, Moonshine constitue un point de convergence de différentes tendances électro et acoustique du jazz contemporain tout en synthétisant les travaux du trompettiste dans ce domaine. Une éclatante réussite.
– Le site de Greenleaf Music
– Moonshine, le film de Roscoe Arbuckle