Si récemment on louait la démarche du label bordelais Amor Fati, consacrée à l’édition de précieux objets CD (cf. plus bas), des projets tout aussi singuliers fleurissent sur le Net qui, malgré la dématérialisation qui leur incombe, ne sacrifient en rien à la qualité de la musique proposée. Le nouveau venu Sans Bruit, initié par la triplette française Stéphane Oskéritzan, Stéphane Berland et Philippe Ghielmetti, propose ainsi des albums à télécharger en ligne pour un prix modique, prolongeant en quelque sorte, deux ans après sa disparition, la belle aventure du festival Bleu sur Scène (2004-2006). En atteste ce duo entre Marc Ducret (guitare électrique) et Benoît Delbecq (piano préparé), enregistré en juillet 2006 au théâtre du Châtelet. Au-delà de sa fonction d’archive, ce document parfaitement restitué pour l’écoute domestique présente un intérêt musical indéniable : il donne à entendre une complicité instrumentale des plus réjouissantes (déjà efficiente sur Qui Parle ? et µ-turn) dans un contexte nocturne idoine où l’accent est mis sur les silences et les alliages de textures sonores. Entre le jeu « perlé » du pianiste et l’électricité lancinante du guitariste se joue en effet un rapport d’échos, de superposition et de mise en relief fascinants. On savait la vitesse ressortir à l’art entêtant de Benoît Delbecq, elle trouve sur cet enregistrement live sa pleine mesure : progressions au ralenti qui se perdent dans l’espace, boucles itératives obsédantes, rondes mélodiques ondoyantes et subites accélérations déterminent des trajectoires sonores mouvantes, aux contours flous, voire fuyants, que la guitare de Marc Ducret, entre chien et loup, détourne ou amplifie, recouvre ou fait miroiter. De cet inquiétant manège à l’issue incertaine se dégage une poésie sensorielle et volontiers onirique qui n’en finit pas de hanter l’auditeur comblé.
– Le site de Sans Bruit