Les chanteurs du crépuscule reviennent nous hanter avec leurs complaintes mêlées de soul et Telecasters féeriques. Greg Dulli s’acharne à nous briser le coeur, et nous, pauvres damnés, on plonge tête baissée dans ce guet-apens. Une fois de plus.
Nous sommes peu à le savoir de ce côté-ci de l’Atlantique, mais ne cachons pas notre plaisir : Greg Dulli est un génie. Que ce soit avec feu les Afghan Whigs ou désormais avec les Twilight Singers, cet homme-là ne connaît pas la médiocrité : quatre albums piliers du rock US à son actif pour les premiers (Congregation, Gentlemen, Black Love et 1965, tous indispensables) et deux chefs d’oeuvre méconnus pour le second. Je dis méconnus, car le premier album des Twilight singers, pourtant admirable, a reçu autant d’échos que semble recevoir également cette nouvelle livraison, sortie dans l’indifférence générale.
Un silence insupportable, car notre cher prêcheur Dulli a tout pour lui : compositeur hors-pair, des amis enviables (Mark Lanegan et Apollonia, l’ ex-muse 80’s de Prince), une voix sensible, un physique de crooner rock n’roll. Dernière louange et non des moindres, il se bonifie avec le temps.
Au cours des 90’s, les Afghan Whigs avaient réussi le tour de force d’insuffler dans leur répertoire l’urgence d’Hüsker Dü, la légèreté d’un Curtis Mayfield et le savoir-faire mélodique de Big Star. Trois incontournables pour le prix d’un, un rapport qualité/prix que même cdiscount.com ne pourrait concurrencer. Les Afghan Whigs ayant jeté l’éponge à l’aube de l’an 2000, le charismatique chanteur blanc à voix soul s’en est donc allé former les Twillight Singers, side project à géométrie variable, dont il règne en maître des lieux.
Le premier volume de cette nouvelle aventure exploitait une nouvelle approche plus intime et dénuée de toute agression électrique. Depuis, l’ami Dulli semble s’être réconcilié avec sa Telecaster. Les influences Bob Mould cachées précédemment sous un gros pull col roulé, réapparaissent au grand jour sur Blackberry belle, au grand bonheur des nostalgiques de la période bénie de Gentlemen. C’est à se demander pourquoi notre zigoto a lâché ses ex-frères d’armes tant les manoeuvres entamées précédemment sont réduites ici en poussière. La musique de Dulli n’a jamais sonné aussi Afghan Whigsienne, un retour en arrière en quelque sorte. Qu’importe, c’est ce qu’il fait de mieux et on ne va pas bouder notre plaisir, surtout lorsque le résultat est d’un tel tonneau.
Tout comme les oeuvres précédentes, Blackberry belle possède sa propre trame. L’ensemble laisse échapper une sorte de mixture, mélange d’usure, sexe, R n’B et l’odeur des cigarettes écrasées. Chaque chanson s’amuse à jouer avec nos nerfs en usant d’un crescendo émotif, si bien qu’à un moment donné, quelque chose explose et capte notre attention d’une manière ou d’une autre (et ce malgré qu’on soit en train de se couper les ongles ou de vaquer à nos taches ménagères quotidiennes, par exemple).
« The Killer » et « Teenage Wristband » font partie de ce club très fermé et plutôt rare de nos jours où l’on ne peut qu’acquiescer devant une telle charge de sentiments. On se retrouve un peu comme dans le clip de « Purple Rain » où un badaud à grosses lunettes regarde hébété Prince sur scène, la bouche grande ouverte, fasciné par tant de lumière.
Avec Blackberry belle, le patrimoine musical du solitaire Dulli commence à prendre des proportions importantes et à déborder de part et d’autres du conglomérat rock. Un testament imposant auquel on aura du mal à passer outre à l’avenir. Et puis croyez-moi, lorsqu’un palmier se profile sur une pochette d’album, vous pouvez acheter les yeux fermés*.
* Miami du Gun Club et Heart of palms d’Idaho
-Le site des Twillight Singers