Attendu depuis longtemps, le premier service du duo electro canadien ne mâche pas ses efforts pour devenir le copain des mortels. Alors, comment et pourquoi tomber dans le piège de Crystal ? Ou pas…
Les années filent et l’electro dansante, produit des années 80, nous intrigue et nous attire toujours autant. Il faut dire qu’on l’a vue grandir avec synthés bricolés et sonorités à la « pong ». On l’a vue s’embourgeoiser, on l’a vue se gaver de sons, d’effets, on l’a vue s’exciter frénétiquement, puis se ralentir, avec onirisme. On l’a vue bifurquer, aller chasser sur d’autres terres, enrichir d’autres musiques, on l’a vue massacrée par des usurpateurs, sacrifiée sur l’autel du mercantilisme. Elle s’est extirpée de l’underground avec assurance avant d’y retourner, pour se faire plus discrète, pour mieux préparer ses sorties. Une musique semblant si éloignée de toute matérialité, de tout rapport à la terre mais qui s’est, au fil des années, transformée en caisse de résonance des préoccupations humaines. Le calque brûlant de nos sociétés contemporaines.
Crystal Castles a cette particularité d’opérer un retour sur les origines de cette musique, retranscrivant quelques pages de son histoire, tout en lui donnant une dimension anxiogène, terriblement actuelle. Duo canadien basé à Toronto et formé en 2003 par le multi-instrumentiste Ethan Khan (ex-Kill Cheerleader) et la chanteuse Alice Glass (ex-Fetus Fatale), Crystal Castles se nomme ainsi en référence au dessin animé She-Ra, la suite des Maîtres de l’Univers. Alice et Ethan se rencontrent en faisant de la lecture aux aveugles, dans un programme pour délinquants initié par la mairie de Toronto. Tous deux grands amateurs de punk et de hardcore, ils quittent leurs groupes respectifs et deviennent les Crystal Castles. En avril 2005, Alice pose sa voix sur cinq instrus originaux d’Ethan. Leur premier single est accidentel : un test microphone de Glass arrive sur MySpace. Le brutal « Alice Practice » cartonne en septembre 2005. Et les labels se pourlèchent les babines, affluent et proposent au duo de les produire.
Connu auparavant pour leurs remixes tels “Hunting for Witches” de Bloc Party ou “Atlantis to Interzone” des Klaxons, camarades de label, Crystal Castles met à jour une musique de l’excès. Ce déferlement de synthés bricolés (un soundchip d’Atari 5200) sur lesquelles vient se poser la voix martiale, brutale d’Alice, donne un petit côté Tetris sous acide. Un son consumé en deux dimensions. Cette electro est fiévreuse, hypnotique et oppressante : des claviers violents et tourmentés de “Love And Carring”, au chant tribal de “Untrust Us”, en passant par l’onirisme de “Magic Spells”. C’est une electro qui s’ébat dans la saturation, dans le toujours plus vite, le toujours plus fort, fait le grand écart entre le toujours plus simple et le toujours plus compliqué.
Et l’on pourrait s’emballer un peu plus si l’album nous paraissait plus séditieux. Mais d’autres ont joué à cela avant. Crystal Castles reprend les recettes de l’electro du siècle dernier, en emprunte les appareils, en accapare les rythmes, le tout des années après… Cette partition est immédiate. Le duo ne démembre pas la musique, excluant le principe que la chose défaite et refaite est toujours mieux faite que la première fois, y gagnant en évidence et en fluidité. C’est donc faire beaucoup d’honneur à l’album que d’y voir un almanach de l’electro. Crystal Castles est coincé dans une rythmique binaire qui n’appelle pas à l’addiction. C’est un album vintage, déjà un hommage pour une musique qui a pris du bide, au bon sens du terme… Pas sûr qu’elle nécessitait un disque posthume.
– Leur MySpace