Le coeur à Lille, le cerveau à Rennes, la discrète rockeuse française livre un deuxième album explorateur, qui s’ouvre sur le monde mais qui reste sur ses gardes.


Il a fallu attendre quatre ans pour voir une suite à Codification (Corida, 2004), un premier album écorché par une artiste modeste et discrète, pétrie de respect pour ses aînés. Respect qui ne l’a pourtant pas empêchée de les approcher puisqu’elle a convié le précieux Olivier Mellano et le non moins indispensable Gaël Desbois pour donner corps à des compositions très intimes. En résultait un disque rêche, où la sécheresse des arrangements appuyait des chansons bancales et farouches. Ce premier album touchant laissait entrevoir un univers pourtant riche et bigrement érudit, qui dépassait largement le cadre du diptyque PJ Harvey/Cat Power auquel on associait la jeune fille. Toutefois, si l’envie d’en découdre était bien présente, elle était étouffée par une crainte de trop mal faire. Aujourd’hui, Laetitia Sheriff a mûri après avoir croisé le fer dans des projets artistiques aussi variés qu’enrichissants : musique d’un documentaire de Hélènes Desplanques, performances autour des haïkus de Kerouac, accompagnement de la troupe de danse contemporaine d’Hervé Koubi… De ces chemins de traverse elle aura tiré un savoir faire en terme de mises en perspectives de paysages sonores, prégnant sur ce deuxième effort.

Passé la mortifère “The Story won’t Persist” en ouverture, la jeune femme nous convie à une fête secrète où les quelques happy few retrouveraient l’hôte souriante et ravie de ses découvertes sonores, mais pas complètement résolue à s’éclairer avec autre chose qu’une bougie pour le moment. D’ailleurs, elle le dit elle-même, “Let’s party” ! De fait, à part sur la massive “Solitary Play”, les guitares rock et cassantes ont cédé la place à des illustrations synthétiques, voire quelques boucles électroniques aussi ténues qu’efficaces. La rythmique, plutôt figée sur Codification, éclate littéralement sur Games Over. La batterie s’affole assez régulièrement sur une série de morceaux oscillant entre énergie cold wave et tripots rennais assaillis par les Little Rabbits – “Let’s Party”, “Hullabaloo”, “Easily Influenced”. Et c’est cette rythmique souvent mise à contribution qui donne à ce deuxième effort une couleur presque pop. Oui, Laetitia Sheriff tend vers la pop, et avec brio même.

Ailleurs, la Bretonne d’adoption calme le jeu sur des ballades sépulcrales ou des mélopées vespérales que l’on entendrait si on errait dans un cimetière abandonné en bordure de la forêt de Brocéliande – “Black Dog”, “Cosmosonic”, ou encore “Like Ink With The Rain”, superbe jusqu’au titre. Et cette alternance d’ambiances tantôt enjouées, tantôt graves, mais presque jamais lourdes (hormis le premier titre) est une nouveauté chez elle. Tout le poids de la contribution de Mellano et Desbois (qui forment Mobiil, ne l’oublions pas) se fait d’ailleurs sentir dans cette mise en sons chirurgicale dépouillée mais pas austère. Confiante jusqu’à en fermer les yeux, la jeune chanteuse n’a plus qu’à s’amuser, opportunité qu’elle ne laisse pas passer – “The Devil Eye” que l’on croirait écrite par Jacno.

Les nouveaux habits de Laetitia Sheriff la mettent en valeur, font d’elle une femme à poigne mais qui n’oublie pas que le monde extérieur ne lui fera aucun cadeau. Elle lâche donc un peu la bride mais n’est pas encore prête à se dévoiler. Cette prudence l’honore.

– Son MySpace