Transcendé par une aisance mélodique déconcertante, l’artisan de Calgary aiguise ses chansons minimalistes aux instrumentations tous azimuts. De la pop à ressort, propice au vol plané.
Le troisième opus de Chad VanGaalen nous est vendus par Sub Pop comme du « Neil Young à son sommet fragile et plaintif », voire même du « Thurston Moore résolu et vital ». Voilà un cahier des charges alternatif qui s’annonce chargé ! Cependant, ce descriptif est un peu court pour résumer Soft Airplane, cette incroyable machine à gaz lo-fi. Quand bien même on retrouve ces deux éléments susmentionnés, la galette s’avère tellement bigarrée qu’aucun ne se risquerait à prétendre qu’un style en particulier domine sur l’autre : folk, power pop, psychedelia, indie rock, electro, exotisme et bidouille en tout genre… Le champ d’exploration est vaste mais l’esprit suffisamment ludique pour ne pas laisser l’auditeur friser l’indigestion.
Finalement, Chad VanGaalen continue de dresser son drôle de bazar lo-fi tant affectionné depuis ses débuts avec Infiniheart (2005) et Skelliconnection (2006). Un bazar recélant des trésors de pop songs biscornues, luttant régulièrement au corps avec une chaleur vocale aux trémolos lyriques peu communs. Ne pas se fier pour autant sur les apparences, on n’ose imaginer le temps passé à assembler, polir, équilibrer ce songwriting hautement périlleux. Il faut dire aussi qu’avant de signer sur le label phare de Seattle, le canadien âgé de 27 ans s’est fait la main durant des années sur son quatre-pistes en huis clos, volets fermés, accumulant ainsi dans sa case une montagne hallucinante de démos qu’il consentait parfois à faire partager sur la Toile, via sa propre structure Flemisheye.
L’avantage, lorsque les moyens techniques font défaut, c’est que l’audace devient sans limite. Sebadoh, Guided By Voices, The Vaselines, The Beat Happening… Bien des formations américaines ont déjà écrit d’immenses pop songs en se perdant dans les fréquences délicieusement dissonantes de la lo-fi. Chad VanGaalen poursuit avec conviction cet idéal, sacrifiant sans état d’âme ses mélodies bétonnées comme la muraille de Chine aux joies précaires du home studio.
Si la sécheresse d’un banjo sur le lamenté « Willow Tree » rassure d’emblée sur cette ligne fidèle et austère, elle annonce pourtant une cassure d’un autre ordre. Le souvenir que nous gardions d’une pop enjouée s’efface pour dévoiler un songwriter au ton nettement plus dépressif qu’à l’accoutumée : sur “Molten Light”, arpèges poisseux et accordéon des jours gris chargent un refrain sans appel « je te trouverai et je te tuerai », tandis que le fantomatique “Poisonous Heads” révèle une facette noire inattendue. Le ton crépusculaire impressionne franchement.
Peut-on pour autant avancer que Chad Van Gaalen vient de signer son Songs From a Room ? Ce n’est pas encore pour cette fois. Soft Airplaine recèle tout autant d’humour que de moments de sérénité, telle “Rabid Bits of Time”, folksong en pèlerinage dans un temple japonais. On bascule même carrément dans la quatrième dimension avec les décomplexées “Phantom Anthills” et “TMNT Mask”, brillantes bidouilles cheap sur Casio de fortune… La vaillante guitare électrique ménage aussi ses espaces — et non des moindres sur “Inside the Molecules”, électrique et rugueux comme du « Loner » raclant le manche de sa vieille Les Paul. Dans la foulée saturée, l’agité “Bare Feet on Wet Griptape” est une immense pop song comme Robert Pollard n’en fait plus, parée de bruitages tordus. Mais le paroxysme est atteint sur la dernière plage, avec l’oppressant “Frozen Energon”, son “Number 9”, une anomalie expérimentale que l’on jurerait sortie de la boîte noire du Koursk.
Passé ce moment déroutant, notre jugement n’est pourtant pas remis en question. Chad VanGaalen tient là son disque le plus abouti, son plus désaxé aussi. Quelque chose d’exquis nous échappe.
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