Magnétique, raffiné, aérien, pop, baroque, kleenex, somptueux… sont les mots qui nous viennent pour décrire ce disque de reprises de pépites folk/pop méconnues. Une réussite artistique totale, servie par la voix lactée d’Alela Diane.


Ce qui frappe d’emblée sur ce disque de Headless Heroes, c’est le vague à l’âme de la jouvencelle chanteuse Alela Diane, totalement investie, qui nous prend littéralement aux tripes. Balayons d’emblée tout malentendu, ses plaintes déchirantes sont au service non pas d’un disque solo, mais d’un projet collectif. Aux commandes de Headless Heroes, deux pointures de la production : Eddie Bezalel, talent plein de promesses distingué sur un autre disque de reprises remarquable, celui de Mark Ronson (avec les contributions d’Amy Winehouse, Santogold et Lilly Allen), et Hugo Nicolson, brillant ingénieur du son dans les années 90 passé producteur et dont les états de service sont conséquents (Radiohead, Primal Scream, James, Blues Explosion, Shack…)

Au départ a germé l’idée d’un disque de reprises intimement connectées, qui redonnerait ses lettres de noblesse au format album. Le duo, épaulé par le DJ David Holmes, s’est mis en tête d’établir « la » compilation ultime de chansons tristes. Mais une sélection qui sortirait du consensus classique, en piochant avec érudition dans un répertoire obscur pour le quidam et qui aurait des allures de rêve éveillé pour les oreilles folk averties. S’y bouscule une belle chambrée de songwriters torturés, dont quelques légendes cultes sixties (et donc) scandaleusement méconnues : retenons parmi d’autres le baroudeur borgne maudit Jackson C. Frank, la comète des Appalaches Linda Perhacs ou encore la muse londonienne réhabilitée Vashti Bunyan. Pour ne pas sombrer — tout de même ! — dans le sectarisme, quelques illustres contemporains rejoignent pêle-mêle les rangs. Dont le prêcheur rock Nick Cave, la fratrie noisy pop The Jesus & Mary Chain, le fou chantant Daniel Johnston ou encore le trio débranché briton I Am Kloot.

Une fois les dix perles retenues, il restait à nos producteurs de trouver la pointure vocale capable de porter en studio cette anthologie du bon goût à bout d’octaves. Ce sera l’outsider du Nevada Alela Diane découverte par hasard au gré de pérégrinations MySpace. Entre les deux commandeurs et la folkeuse de 25 ans, le coup de foudre est immédiat et réciproque. Savamment dirigée sur The Silence of Love, sa voix virginale accède à une dimension onirique stupéfiante, qui étonnera d’abord ceux l’ayant découverte sur son premier album de folk rupestre sorti l’année dernière par l’intermédiaire de la maison Fargo.

Dès “True Love Will Find You In The End”, nous sommes pris dans le tourbillon. Cette douce étreinte — couchée initialement sur dictaphone par Daniel Johnston — bordée d’une production des songes faite de halos de guitares réverbérées à l’infini, tutoie le divin (ah ! ce solo de bottleneck vibrant au rythme des trémolos de la belle). Clairement, l’esthétique en apesanteur de la première moitié de The Silence of Love prête allégeance aux canons de la dream pop façonnés par This Mortal Coil (le concept et la reverb) et Mazzy Star. Superbement mis en son, Hope Sandoval en perdrait sa timidité sur le somptueux désert “Just One Time” des bluesmen chics Juicy Lucy et “Here Before” de Vashti Bunyan.
Quelques belles exceptions à la guitare sèche décharnée toutefois, l’interprétation fidèle de “Blues Run The Game”, incunable pratiquement impossible à rater, et “Hey, who really cares ?” de Linda Perhacs (dont on annonce un nouvel album l’année prochaine, 38 ans après son unique LP !). Au bout du compte, ce sera le plus gros morceau attendu du lot, “Just Like Honey” des frères Reid, qui nous laissera un peu sur notre faim, presque trop convenu dans ces arrangements rock lunaires (le syndrome pub Air France, dirons-nous).

Mais le dessert est réservé pour la fin. Le rideau se referme sur une trinité pop grandiose inaugurée avec le “Nobody’s Baby Now” de Nick Cave aux relents de valse sous la pluie, et puis deux reprises tout bonnement monstrueuses choyées par un orchestre à cordes, les Dirty Pretty Strings (joli jeu de mots !), “The North Wind Blew South” (de Philamore Lincoln) et “See my love” (The Gentle Soul). Après une telle surenchère, le Rimmel coule bel et bien cette fois… de bonheur. Gageons que ce premier volume, qui se hisse déjà au niveau de This Mortal Coil, n’est que le début d’une série qui s’annonce magistrale.

– Le site de Fargo dédié à Headless Heroes

– La page Myspace