Parrainés par des membres de Grizzly Bear et TV On The Radio, les débuts fracassants d’un jeune singer-songwriter qui n’a pas froid aux oreilles.


Baby Dee, Bon Iver, Fleet Foxes, The Magic I.D., John Shannon, PAS/CAL, Foals, The Dodos, The War On Drugs — pour citer quelques-uns des musiciens abordés dans nos colonnes : de toute évidence l’année 2008 aura rempli à foison notre besace de découvertes plus attrayantes les unes que les autres. Parmi celles-ci, il faudra désormais considérer avec attention Miles Benjamin Anthony Robinson, singer-songwriter de 24 ans au caractère bien trempé et à la vie semée d’embûches. Premiers pas dans l’Oregon, suivis d’une jeunesse itinérante passée à sillonner les routes aux côtés d’un père comédien. Puis lycéen à ses heures perdues, le besoin d’élargir le réel se fait sentir, direction New York, ses lieux interlopes et cette vie aux relents de romantisme frelaté qui se consume sans fard dans la consommation tous azimuts de drogues. Quelques groupes sans lendemain — Jackson Plastic, Mud Cub et Jesus Jackson –, quelques nuits passées à dormir sous les ponts et, de déprimes en déprimes, de rencontres en rencontres, Miles Benjamin Anthony Robinson croise bientôt la route de Christopher Taylor, Christopher Bear et Daniel Rossen (Grizzly Bear), ainsi que celle de Kyp Malone (TV On The Radio), tous impressionnés par les prestations scéniques et le charisme du jeune homme. Suit l’enregistrement de ce premier disque en leur salutaire compagnie, un autoportrait singulier produit et arrangé par Taylor (déjà aux manettes du dernier Department of Eagles).

L’histoire pourrait s’arrêter là qu’elle épouserait déjà la courbe ascensionnelle d’un conte moderne (la fulgurante ascension d’un petit génie parti de rien, parvenu à surmonter ses démons via son art de poche et l’aide de bonnes fées). Pourtant, l’essentiel se trouve ailleurs que dans ce parcours volontiers romancé au bout duquel pointe la lumière d’un succès annoncé. De découvertes parlions-nous plus haut, et c’est bien de cela qu’il s’agit : une écriture, une présence et une idée du son d’emblée identifiables, voilà qui n’est pas donné à tout le monde. Le talent est une chose, lui donner corps, épaisseur et sens, en est une autre, bien plus difficile. Indéniablement, Miles Benjamin Anthony Robinson possède une plume et un phrasé, de ceux qui attirent l’oreille, une manière de communiquer aux mots un tranchant particulier. « Je ne sais pas si je veux rester vivant/Cela coûte cher et il est si bon marché de mourir », chante-t-il a plusieurs reprises, et avec décontraction, sur “The Debtor”. Point de narcissisme morbide ici, juste un recul qui fait froid dans le dos mâtiné d’une causticité assez étonnante quand on connaît l’âge de son auteur (cf. également la pochette décalée de l’album arborant un squelette aristocratique à la dentition goguenarde, avec ombrelle sous le bras et éventail). À la faveur d’une maturité précoce, la plume du songwriter témoigne d’une acuité humaniste redoutable et fouaille un réel peu reluisant, celui des sans abris ou des laissés pour compte, sans une once toutefois de misérabilisme. En ce sens, ce désespoir optimiste n’est pas sans rappeler, dans cette façon de se coltiner aux impasses de l’existence et à l’aliénation avec un aplomb troublant, sur le mode d’un dilemme entre fureur et douceur, le regretté Elliott Smith.

Un dilemme parfaitement négocié, aussi, dans la mise en forme et en sons de chansons toutes composées par Miles Benjamin Anthony Robinson. Entre densité sonore et épure lo-fi l’album alterne avec conviction. Sur l’époustouflant titre inaugural, “Buriedfed”, la seule guitare acoustique du chanteur est bientôt rejointe par d’autres instruments additionnés (batterie, basse, keys, lap steel, puis, sur la fin, une guitare électrique dégainée comme un ultime assaut) et une somme proliférante de voix chimériques qui viennent, littéralement, habiter ses paroles au fur et à mesure que le morceau monte en puissance. Mouvement de l’intime vers le commun, à l’image du texte décliné par le musicien où il est question d’une « dernière chanson au sujet de moi », présageant que les suivantes seront tournées vers les autres, et que les tourments de son auteur se veulent avant toute chose universels. À travers cette gestion d’un espace sonore et vocal envahissant, l’influence de Kyp Malone (présent dans les choeurs) est perceptible, sans que le disque ne se transforme pour autant en un banal artefact estampillé TV On The Radio. Sous influence, la musique de Miles Benjamin Anthony Robinson n’en demeure pas moins personnelle, admirable justement parce qu’en proie à des agencements et décalages qui entretiennent constamment sa nécessaire singularité. Cette place — dans la société, dans le monde — à chercher et occuper (“The Ongoing Debate Concerning Present vs Future”), qui n’est autre, tout bonnement, que le métier d’exister, par ailleurs grand sujet du disque, est au coeur même de la démarche artistique du jeune musicien pour qui s’adapter à son environnement ne signifie aucunement estomper sa propre sensibilité.

Cette sensibilité de songwriter à part éclate lors des moments les plus posés de l’album, notamment sur les quatre titres qui le clôturent. Quatre ballades sombres jouées sur le modèle séminal folk voix/guitare, systématiquement agrandi à une échelle plus ample lorsque batterie et voix réverbérées (“Written Over Eight”), silences rédempteurs et décharge électrique sans espoir (“Mountaineerd”), choeurs et cordes (“Above the Sun”), ou encore chants séquencés en fondu (“Boneindian”) se greffent progressivement au paysage acoustique. Dans ce dépli d’un panorama musical sans frontières, criblé de trous béants et de plaies, se fait jour l’image émouvante d’un musicien insolent en quête de sérénité intérieure. Sorte de précipité de vie mis en musique qui, à rebours d’un simple destin tracé d’avance, dépose les preuves d’un accomplissement en marche qui ne saurait se saisir facilement ou en dehors de ses failles. L’avenir, aussi sinueux soit-il, désormais, appartient à Miles Benjamin Anthony Robinson.

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