Tels des champions d’échecs, les stratèges sévissant au sein de cette formation psyché rock connaissent tous les coups inimaginables et s’appliquent à les démonter jusqu’au dernier pion. Imparable.
Il y a longtemps que des Britanniques n’avaient si savamment démantelé le mur binaire du rock. Ce sextet de Glasgow, dont les membres sont la réunion de vieux briscards qui hantaient la scène alternative de la ville, est bien la curiosité du moment. Dans leur manoir des Highlands, les esprits malins « Richard The Turd » Princeton (harmonies), Duncan De Cornell (Guitares), Gerrard Harvard (basse), Andrew T Oxford (claviers), Damien Duke Stanford (batterie) et Greg Yale (pédales « ? ») ont enfanté une sorte de Frankenstein, conséquence d’improbables greffes de genres (psyché, kraut, prog, post-rock, electro…), aussi impossibles qu’elles demeurent abouties.
Souvent comparé outre-Manche à The Beta Band, le groupe fantôme ne fait pourtant qu’effleurer l’univers musical de la défunte formation electro-pop londonienne, son spectre exorcisant bien d’autres horizons musicaux. Davantage portés sur la communion vitale des instruments que par l’approche du bidouillage synthétique, on pourrait identifier tout autant chez ces Ecossais quelques accointances avec Field Music pour l’écriture labyrinthique, Captain Beefheart pour les errements rock dans le désert, Grandaddy pour cette propension aux mélodies de poche majestueuses, Robert Wyatt pour la pop avant-gardiste, Neu! pour l’hypnotisme et les tribulations tribales… Et la liste pourrait continuer d’être dressée tant Checkmate Savage, à chaque écoute, dévoile de nouvelles associations judicieuses.
En neufs compositions — dont le tiers passe allègrement la barre des sept minutes –, ce premier acte fait montre d’une exceptionnelle aptitude à appliquer aux structures hirsutes une «sophistication du cool». “The Howling” et “Burial Sounds”, sciemment logés au premier rang de l’album, ne sont pas les morceaux les plus aguicheurs du lot mais s’emploient plutôt à creuser ailleurs que dans la mélodie, vers une synergie instrumentale hypnotique. “Burial Sounds” serait-il d’ailleurs un hommage au maître du dubstep ? Ses pulsations urbaines lancinantes battant au rythme de choeurs virils sont en tous les cas du plus bel effet.
Si les pistes sont délibérément brouillées dès le lancement des hostilités, il est certain que Checkmate Savage reste fondamentalement un disque rock. Les affaires se durcissent ainsi dès la troisième plage, avec “Folk Song Oblivion”, sorte de proto rock kraftwerkien traversé d’un riff pachydermique qui déblaie sec, jusqu’à déboucher sur un refrain tout en havre de paix. L’alternance entre embarcations lunaires et dérivations électriques binaires connaît de nombreux retournements. Notamment avec le curieux “Halfhound”, construit cette fois autour d’un gimmick blues éloquent, qui progressivement virerait dans l’autisme kraut… Ou encore “Crocodile”, qui évolue dans les eaux troubles du post-rock mais ne se mord jamais la queue. Le chamanique “Left Hand Wave” et son finale malsain, piqué par des guitares électriques qui fulminent au gros son quasi-stoner, jouerait bien des coudes avec du Black Mountain futuriste ! En dilettante apparente, Phantom Band sait manifestement aussi bien faire parler la poudre sous ses draps (sa réputation scènique est également faite).
Mais ce n’est qu’une facette de ce disque qui empiète un peu partout… Phantom Band sait s’offrir un peu de répit avec l’apaisant “Island”, une fuite apaisante de près de 9 minutes en territoire pop americana où un banjo bulle dans une atmosphère de claviers éthérés. Le tout est brillamment agencé par le producteur Paul Savage, un ex-Delgados un peu trop vite oublié, et qui nous rappelle en termes de vision pop psychédélique qu’il a fait ses armes par le passé avec Dave Fridmann…
Quant à « Throwing Bones », ce serait du Glen Campbell chantant du… Et puis non, on s’arrêtera là et on vous laisse découvrir le reste des mille facettes de cette formation abracadabrante.
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