Suite à un concert donné en commun le 21 octobre 2007 au Mixrooffice, club de Shibuya-Ku, le japonais bruitiste underground Merzbow (alias Masami Akita) et le guitariste expérimental français Richard Pinhas, pionnier des musiques électroniques, décident de prolonger l’expérience jugée fructueuse sur support numérique. Le double-CD Keio Line, du nom de la ligne de métro desservant la banlieue de Tokyo, notamment jusqu’au studio d’enregistrement où fut conçu le disque, fusionne ainsi l’univers sonore des deux musiciens, à savoir la noise volcanique du premier et l’électricité vrombissante du second. Au point que, dès les premières minutes, vaines sont les tentatives de discernement qui viseraient à déterminer le rôle de chacun dans ce maelström ininterrompu de sons enchâssés (par moments surgit une ligne de guitare bien distincte, comme au mitan de “Chaos Line”, mais ce type de manifestation demeure épisodique) et en grande partie improvisé. Toutefois, eu égard à leur passé respectif et l’absence de bruits assourdissants, on peut penser que Richard Pinhas a fortement influencé la marche de l’ensemble, là où Merzbow aurait sans doute livré une proposition davantage jusqu’au-boutiste. Domine en effet sur les six morceaux et 108 minutes de Keio Line un continuum sonore expansif et hypnotique, étiré de part en part, jusqu’à être assimilé à une sorte de magma qui se répand sur les mélodies, réduites en débris, furtives apparitions bientôt ensevelies sous les décibels ou les couches synthétiques palpitantes (les battements quasi myocardiques et angoissants de “Shibuya AKS”). Parfois, les masses sonores laissent apparaître des espaces moins tourmentés, avec des crêtes vaporeuses proches d’une ambient soumise à des déflagrations intérieures. Inscription du temps dans une matière musicale diluvienne, dévastée ou gisante, remous vertigineux d’une musique remuante qui ne peut laisser de marbre.
– Le site de Orkhêstra