Armelle Pioline, Mocke et leur troupe continuent d’élever des papillons sur ce quatrième disque qui touche parfois la terre pour arracher à leur triste sort ses pauvres habitants les êtres humains.


A l’heure où la pop française se cherche une identité ou sélectionne sa nouvelle star dans un immense champ de foire télévisuel, il est des artistes, rares, qui creusent leur sillon loin de toute agitation parisienne. Plus précisément, c’est au Chili que Holden enregistre depuis plusieurs années déjà ses chansons. Et combinée à une écriture singulière, cette délocalisation choisie, indépendante de toute contrainte économico-mondialiste, offre au duo à la tête du groupe une liberté totale et une virginité renouvelée à chaque étape. Et si Holden livre une pop hyper-accessible, il est incontestable qu’elle n’en est pas moins unique. C’est surtout aux deux précédents disques que l’on pense. Pedrolira, en 2002, ourlait des perles de rosée empreintes d’une gravité nostalgique toute de sucre en poudre. En 2006, Chevrotine montrait un groupe qui s’était exposé au soleil et livrait des chansons hâlées et rythmées, au son toujours plus aérien. Ce son qui est d’ailleurs la grande particularité de la bande, un son chaud et impalpable, ample et soyeux, parfait écrin pour une écriture raffinée mais jamais démonstratrice. Fantomatisme est le prolongement de ses prédécesseurs, avec toujours un peu plus de singularité, toujours un peu plus d’allégresse, et surtout toujours autant de raffinement.

Le changement dans la continuité serait même plus juste. Changement visuel, d’abord, puisque pour la première fois on y voit le duo en photo, floue, certes, mais bel et bien identifiable. Changement de positionnement ensuite, tant Holden est désormais un groupe définitivement affranchi de toute influence autre que la sienne propre. Ce nouveau disque ne ressemble à rien d’autre qu’à du Holden mais en encore plus abouti. Continuité en revanche dans les ambiances qui prolongent et alimentent le bien-être ressenti à l’écoute de cette musique. Fantomatisme, encore plus que ses aïeuls, est un disque chaud et rond. Outre la production nébuleuse du fidèle Atom (Señor Coconut), la voix de grenadine d’Armelle Pioline est le passeport pour un état de béatitude absolue.
Des mélodies accroche-coeur, Fantomatisme en regorge, portées par des guitares aventureuses et une batterie qui lutte avec les fourmis. Sauf qu’aujourd’hui elles ne sont plus à l’abri d’une cassure rythmique brutale, imposant à la chanson de reprendre à son début ou au contraire d’opter pour une nouvelle direction — “Dans la Glace” et ses battements de main, “La Carta”. On y entend alors des entrelacs de claviers ou des cordes perdues dans un brouillard aveuglant cédant devant la marche cadencée d’une batterie qu’on ne retient plus. Ces arrangements complexes n’alourdissent paradoxalement jamais le propos, tissant un mur en lin infini, effaçant les frontières entre musique et rêves.

Mais cela n’empêche pas Mocke d’y ajouter ses riffs qui, l’air de rien, tatouent les textes couchés sur un tapis d’herbes grasses en guise de papier à musique. Et conséquence directe de l’aisance créative, Fantomatisme propose 11 titres comme autant de tubes potentiels. Et se dévoile comme un disque à écouter d’une seule traite ou au contraire dans lequel il fait bon picorer au gré, non pas de son humeur, forcément bonne, mais de l’heure de la journée, en plein été. Pas de titre supérieur à un autre, juste l’évidence de “Dans la Glace” qui rivalise avec la douceur de “Où sont vos bras, Monsieur ?” ou l’addiction provoquée par les rythmiques aguicheuses de “Mia”, ou encore “Les Grands Chevals”. Et toujours cette mélancolie délicieuse qui plane — “Maureen Katie Maya Aussi”, “La Fin d’une Manche” et son piano invisible. Si, tout de même, “Un Toit Etranger” pourrait, à la grande rigueur, s’octroyer la palme avec son refrain choral totalement addictif pour l’amateur, même lointain, des comédies musicales de Jacques Demy. Seule anomalie dans ce tableau sans ombre, “La Carta”, signée Violeta Parra, voit Armelle Pioline froncer les sourcils sur une basse orageuse et des rythmes saccadés en une perle noire qui nuance un tableau par ailleurs pastel. Rideau de fin sur “Je dois m’en Aller”, un des titres les plus formidables de la discographie du groupe avec ses accords de sauterelle, ce banjo chatouilleur et cette basse qui veille, vigilante, à ce que trop de bonheur n’amoindrisse pas le propos.

On referme ce nouvel épisode les yeux mi-clos, le coeur battant la chamade, revigoré en ces temps troubles. Avec l’envie farfelue de croire aux fantômes.

– Lire également l’interview accordée par Holden à l’occasion de la sortie de Chevrotine (2006)

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