À la faveur de sorties concomitantes sur le label Cryptogramophone, les derniers albums respectifs des frères Cline nous invitent à leur mise en perspective. Chez l’un comme chez l’autre, le geste de jouer résulte d’une quête sonore résolument poétique ; le jazz se veut moins une fin en soi qu’un chemin à emprunter pour défricher des territoires transversaux à l’orée desquels il s’invente un avenir, sinon un devenir. Si le magnifique album d’Alex le percussionniste (cf. plus bas) apparaît d’ores et déjà comme une oeuvre incontournable de ce début d’année, celui de Nels le guitariste, enregistré en solo, lui emboîte le pas sur une durée similaire (plus de 70 minutes) et avec tout autant de réussite. Entre les doigts de ce dernier passe une grande quantité d’instruments qui vont de la guitare électrique à l’acoustique (à six ou douze cordes, préparées ou non), en passant — entre autres — par le dobro, la cithare, l’ukulélé, la basse et divers supports électroniques tous convoqués dans le dessein d’explorer des paysages sonores méditatifs et variés. De la miniature au développement plus sophistiqué, de l’ambient au rock, du folk/picking à la recherche expérimentale sur le motif, le virtuose Nels Cline, c’est le moins que l’on puisse dire, maîtrise son sujet. Pourtant, sur Coward, ne ressort nul verbiage inutile ni vaine démonstration. Tout se tient et s’équilibre. Magnifiquement. Les combinaisons de textures et la richesse des lignes harmoniques déployées ouvrent sur une intériorité qui se découvre à mesure qu’elle questionne son plein désir de musiques : en filigrane d’un jeu de pistes savamment agencé, un « je » se piste. Et rend hommage à tous ceux qui ont su conjuguer les cordes à la singularité : Rod Poole, John Fahey, Leo Kottke, Ralph Towner, Bill Frisell, John Abercrombie, John McLaughlin, Thurston Moore… Soit un large panel de guitaristes de renom et, pour Nels Cline, une manière de se situer entre-tous, à l’orée des genres et des styles musicaux, entre sanctification et profanation, comme pour se re-trouver soi-même, seul et multiple.
– Le site de Nels Cline
– Le site de Cryptogramophone
– Le site de Orkhêstra