Dans le froid glacial de février, Essie Jain réchauffe la salle parisienne du Point Ephémère de sa voix de velours. Frêle et blonde, la jeune chanteuse anglaise étonne sur scène par sa chaleur et sa cordialité. Ses deux albums, We Made This Ourselves (2007) et The Inbetween (2008), petits bijoux folk, gardent parfois à distance l’auditeur.
Une distance abolie en concert, comme en interview. La londonienne trentenaire installée à New York se transforme alors en charmante hôtesse aussi à l’aise avec le public — ou avec l’intervieweur — que si elle jouait devant des amis dans un bar de Brooklyn. Rencontre avec une musicienne atypique, qui a failli devenir chanteuse lyrique puis spécialiste d’effets spéciaux…
Pinkushion : D’où viens-tu ? Quelles sont tes origines musicales ?
Essie Jain : Je suis née à Londres. Toute ma famille, sauf mon père, joue de la musique. Depuis que j’ai cinq ans, je touche d’un instrument. J’ai de la chance car mes parents m’ont poussée dès mon plus jeune âge en me disant qu’une vie d’artiste était possible. J’ai appris d’abord le violoncelle pendant dix ans. Puis, j’ai appris le chant lyrique pendant deux ans. Ma professeur m’a appris énormément dans la maîtrise du chant, comment contrôler son souffle. C’était très difficile. J’ai failli devenir une chanteuse d’opéra. Mais j’ai décidé de ne pas aller dans cette voie car je voulais chanter mais aussi jouer et composer.
Tu as fait des études musicales plus poussées ?
Non, je ne voulais pas aller dans une école de musique. J’ai commencé par suivre une voie totalement différente. J’ai suivi une formation pendant quatre ans pour devenir maquilleuse pour réaliser des effets spéciaux de cinéma. Je me suis spécialisée dans la simulation des blessures, au couteau, au revolver, etc. Si quelqu’un avait une jambe coupée dans une scène, je devais faire la jambe… C’est ce que j’aurais fait si je n’avais pas entamé une carrière musicale. Je ne sais pas bien quel rôle cette formation va jouer dans ma vie… (rires)
Comment t’es tu lancée dans la musique ?
Il y a eu une année dans ma vie où tout est allé mal. Et puis, j’ai pris un instrument et commencé à rejouer. C’est comme si la musique était revenue dans ma vie, me tapant sur l’épaule pour me signaler qu’elle est toujours là. Mon oncle, qui est musicien, a donné une cassette que j’avais faite à un producteur de ses amis. Cela lui a plu. Il m’a demandé si je voulais aller en résidence à New York dans un des ses bureaux, dans le cadre d’un « development deal » durant lequel on rencontre des musiciens, on écrit beaucoup… Après trois ans, j’ai finalement décidé quel genre de musique je voulais faire.
Quand es-tu partie à New York ?
Il y a sept ans. Je suis arrivée deux semaines avant le 11 septembre 2001… Je vivais à Brooklyn à l’époque et ai vu depuis mon toit les deux tours s’effondrer. C’était très étrange, très triste. J’ai du mal à décrire cette période.
Est-ce que ça a influé ta musique ?
J’ai vu la ville guérir de ses blessures, et les new-yorkais montrer leur force de caractère. Je n’ai pas écrit de chanson à ce sujet, mais l’énergie de la ville m’a inspirée pour ma musique.
Quelles sont tes influences musicales ?
Les vieilles comédies musicales, comme Chantons sous la pluie, Marry Poppins ou La mélodie du bonheur. J’aime l’innocence qui se dégage de ces films. On m’a dit quand j’étais petite que Frank Sinatra et moi avions la même date d’anniversaire. Cela m’a beaucoup impressionnée et je pensais avoir un point commun avec lui à l’époque.
Vous partagez la même volonté d’utiliser la voix comme un instrument ?
Oui, c’est vrai. Ma voix est au centre de ma musique. Les autres instruments viennent en complément, même s’il y a davantage d’orchestrations dans mon second album.
Quelles sont tes influences plus récentes ?
J’ai une immense admiration pour Elliott Smith, Sinead O’Connor, et son album I Do Not Want What I Haven’t Got. Cela m’avait frappée car elle prenait position contre l’action de Margaret Thatcher, alors premier ministre britannique. J’aime beaucoup aussi le groupe Low et la chanteuse Jessie Sykes. En fait, tout groupe qui utilise la musique comme une forme d’authenticité. Je préfère ressentir la musique plus que l’intellectualiser. D’ailleurs, quand l’inspiration vient, j’écris et compose de façon intuitive.
Que penses-tu des influences qu’on accole à ton nom : Joan Baez, Joni Mitchell ?
Je ne savais même pas qu’on me comparait à ces artistes. C’est flatteur, mais ce ne sont pas des influences conscientes.
Pourquoi avoir choisi The Inbetween (L’entre-deux) comme titre de ton second album (Leaf Records/Differ-Ant – 2008) ?
J’ai fait de grands sacrifices pour me consacrer à la musique. Ma vie a changé mais rien n’est encore stable, et je ne sais pas encore où cela va me mener. Mon mari, Patrick Glynn, est guitariste (il joue sur le second album), mais il n’a pas quitté son travail. La tournée que nous avons entreprise pour le premier album n’a pas marché. Il y avait du monde, mais cela nous coûtait plus d’argent que cela nous en rapportait. Vivre de la musique est très difficile aux Etats-Unis. The Inbetween représente donc une transition, mais peut-être aussi une crise existentielle…
Propos recueillis par Stephanopoulos
Crédit photos : Pascal Amoyel
– Son Myspace
– Lire également les chroniques de We Made This Ourselves (2007) et The Inbetween(2008)
Après un passage au Printemps de Bourges, Essie Jain sera en concert au Festival des Tombées de la nuit, à Rennes, le 8 juillet.