« Nous transcendons le Palpable et l’Impalpable, d’où notre nom: Mankind », annonce dans son Manifeste le duo féminin D. Kimm et Alexis O’Hara. Enregistré dans ce haut lieu montréalais du post-rock qu’est l’Hotel 2 Tango, Ice Machine convoque le fantôme halluciné de William Burroughs, les greffes machinocorporelles de David Cronenberg, l’enfance trouble de Victor Erice, la fuite du temps de Béla Tarr et la poésie narrative de D.M. Thomas. Autant d’écrivains et cinéastes qui sont l’objet d’un hommage singulier sur “Repressed Love”, montage hétéroclite de bruitages électroniques et de voix épars, de bribes de dialogues filmiques et de récitations littéraires échappés d’un dictaphone, le tout sur fond de rythme myocardique, comme si le morceau offrait une déambulation poétique dans les méandres d’un cerveau littéralement dérangé. L’espace imaginaire du duo muli-instrumentiste déploie ainsi ses impulsions noisy et effusions ambient, souffle et rythmes vitaux mêlés à l’instar de l’ouverture “Mile End Throat Singers”, un morceau qui repose sur des « laborieux chants de gorge » et des « summer dog vocals » progressivement distordus par des loops et des effets de pad, jusqu’à laisser poindre une angoisse diffuse, coupée court par des rires espiègles. Que ce duo de Canadiennes revendique son manque de savoirs, préférant de loin faire et défaire une musique spontanée et inconfortable, souvent conçue à l’instinct, mais pensée après-coup, voilà qui nous comble quand trop de disques affichent une prétention et une maîtrise qui n’ont d’égal que l’ennui dans lequel ils nous plongent. Un raccourci, forcément réducteur, assimilerait Mankind à un CocoRosie trash : le bricolage élevé au rang d’art participe en effet d’un enchantement ou d’une trivialité qui génèrent des visions musicales proprement distordues et originales où une fausse insouciance enfantine côtoie constamment des marges plus interlopes de la conscience. Chez Mankind se produit une étrange intrication du cul et du cerveau, du beau et du laid, du léger et du profond. En somme, de la vie palpable et de l’impalpable mort.

– Le site de Orkhêstra

– En écoute : « Charming »