Travaux pratiques : oubliez tout ce que vous savez de Lou Barlow, ses disques, son influence, son gros ventre, ses cheveux filasses. Passez à la plage 3. Et laissez la magie opérer…
Difficile, en 2009, de considérer Lou Barlow comme un acteur facultatif de la scène indie américaine. Pas évident d’ignorer son statut de second couteau passionnant, en tant que bassiste dévastateur de Dinosaur Jr ou bricoleur au cerveau fumé sous le nom de Sebadoh ou The Folk Implosion — One Part Lullaby, petit album de 1999 à redécouvrir fissa. Pourtant, c’est un exercice essentiel pour appréhender ce Goodnight Unknown. Tout aussi essentiel que de passer rapidement sur les deux titres en ouverture, aussi insipides qu’une feta industrielle sans sel. Ces conditions respectées, Goodnight Unknown, deuxième album sous son nom propre, dévoile un Barlow apaisé, aérien, à la futilité gracile.
A des kilomètres de son image de sale gosse capricieux et colérique colportée par son ami et boss, Jay Mascis — ce qui ne l’a pas empêché de le rejoindre pour deux disques récents de très haute tenue –, à des années lumières de la musique bavarde de sa maison-mère, le Lou Barlow millésime 2009, en solo, se la joue cool, plume au vent et guitares débranchées. On le savait facile au moment de composer des mélodies stratifiées et architecturées un jour de grand vent, on l’ignorait aussi à l’aise avec les accords champêtres. Goodnight Unknown navigue en effet sur un écrin soyeux, mélange racé de nylon et d’acier fin, rarement comprimé par l’electricité, et toujours porteur d’une mélodie en accroche-coeur. Après, qu’il y rajoute occasionnellement une batterie un peu appuyée, une guitare un tantinet crasseuse ici, ou éventuellement quelques voix perdues là, il livre un disque solaire et bien plus profond qu’il en a l’air.
De la clarté de “Too Much Freedom” à la tristesse voilée de “Take Advantage” en passant par l’orage sec de“ One Machine, One Lone Fight”, le cardinal binoclard de l’indie rock met aujourd’hui en avant son atout le plus évident, et pourtant le moins salué, son talent de songwriter. Un chanteur à la voix poignante qui glisse sur ses chansons écrites à potron-minet avant que l’esprit ne soit pollué. On le sent détendu et sûr de son fait. Et on ne peut que se plier à son constat tant “Modesty” ou “The One I Call” possèdent la fraîcheur naturelle d’une fleur sauvage coupée à la rosée. Vous n’auriez jamais pensé lire ce type de phrase dans un papier dédié à Lou Barlow ? Croyez-moi, votre étonnement n’est rien en regard de celui de votre serviteur au moment de la coucher sur le clavier. Et pourtant, l’évidence est là, ce disque de Lou Barlow est doux et léger.
Oh, bien sûr, il lui fallait avant tout rassurer ses fans, leur confirmer que son récent ralliement à son premier groupe n’avait rien d’intéressé et n’enlevait rien à son caractère bien trempé qui refuse toute manigance ou parole un peu gratuite de son alter ego. Aussi, le voit-on agrémenter ce disque délicieux de quelques pièces vaguement rock et foutrement (on se sent mieux ?!) ratées, comme cette horrible “Sharing” en ouverture qui ne passerait pas le cap du casting du premier album du premier folkeux normand venu et en quête de contrat. Même verdict pour la chanson titre ou, bien plus loin, “Don’t Apologize”.
Au delà, Goodnight Unknown s’avère être le disque brillant d’un musicien qui n’avait rien à prouver, dont on n’attendait rien, et qui n’avait aucune contrainte. Un disque serein. Mais, avant tout, une bien belle surprise. Une deuxième naissance, quelque part.
– Son site officiel
– En écoute : “Too Much Freedom”