Peut-être que la musique n’est au fond qu’une constellation de questions, des points d’interrogations. Des gouffres insurmontables partagent les différentes créations, les gestes éphémères, portant ainsi en eux leur propre faille. Cela, des musiciens comme Tim Hecker l’ont compris et l’exploitent abondamment en ayant recours aux aspects vertigineux des harmonies, créant des mouvements circulaires et perturbants mais toujours accompagnés d’une poésie qui se révèle dans la durée. Or Tim Hecker a également compris autre chose : plus que le rythme, la musique est aussi une question d’intensité, une puissance qu’il va falloir maîtriser. Mais intensité ne signifie nullement la disparition de la mélodie, loin de là, et le musicien canadien, dont le précédent opus Harmonies in Ultraviolet remontait à 2006, le prouve encore une fois avec son dernier album An Imaginary Country. On retrouve bien évidemment son goût particulier pour les lieux de transition, les harmonies impures et les espaces sonores formant de véritables architectures, des « cathédrales sonores » comme il les définit lui-même. Une approche spatiale certes, mais aussi de l’ordre du recueillement, tel qu’on peut le retrouver ici. An Imaginary Country est en fait un exercice dépaysant, notamment à l’ouverture avec “100 years ago”, un morceau à sonorité plutôt à part si on le compare aux constructions auxquelles le Canadien nous a habitués à travers les années. Il s’agit de surprendre l’auditeur et d’une mise en parenthèse de ses attentes. Tim Hecker ne prend le temps et ne suspend l’écoute que pour mieux nous faire glisser dans un espace sonore devenu familier : “Borderlands”, “Current of Electrostasy” ou encore “Paragon Point” illustrent parfaitement la touche du Canadien et constituent ces points de repère d’une puissance sobre et froide. “200 years ago” est celui qui boucle la boucle : la brèche ouverte au départ devient ici palpable car, au fond, l’expérience musicale est lieu d’écoute, d’imagination, mais aussi lieu de retour et de recommencement. En ce sens, An Imaginary Country obsède et n’exige peut-être que cela.
– Le site officiel
– En écoute : “Borderlands”